Quel est le sens de la vie "normale" ?

Carl Gustav Jung (1875-1961)
Carl Gustav Jung (1875-1961)

"Le monde dans lequel nous pénétrons en naissant est brutal et cruel, et, en même temps, d’une divine beauté. Croire à ce qui l’emporte du sens ou du non-sens est une question de tempérament. Si le non-sens dominait en absolu, l’aspect sensé de la vie, au fur et à mesure de l’évolution, disparaîtrait de plus en plus. Mais cela n’est pas, ou ne semble pas être le cas. Comme dans toute question de métaphysique, les deux sont probablement vrais : la vie est faite de sens et de non-sens. J’ai l’espoir anxieux que le sens l’emportera et gagnera la bataille." 

 C.G. Jung, Ma vie. Souvenirs, rêves et pensées recueillis par A. Jaffé, Paris, Gallimard, 1966, p. 408.

 

La psychologie analytique respecte la rigueur scientifique comme les traditions mystiques mises de côté par les Lumières au profit de la raison seule : j’ai choisi de l’étudier.

 

Lorsqu’il écrit Ma vie, Jung est un « vieil homme sage ».

Selon lui, chaque humain naît dans un monde double qui lui préexiste (impitoyable et beau) et le sens de ce paradoxe est lié au « tempérament » de chacun. Il évoque Darwin (la vie n’ayant pas uniquement sélectionné le non-sens, le sens présenterait un caractère utile) et admet deux notions contradictoires (elle peut être et avoir sens et non-sens) mais confie son « espoir anxieux » en la possibilité que le sens supplante un jour le non-sens.

 

Je souhaite toujours comprendre les forces à l’origine de cette « bataille » pour agir en faveur du sens en psychologie. Il m’a donc semblé bon de m’interroger sur le « sens de la vie normale » et nécessaire de mettre mes croyances à l’épreuve afin que mes convictions soient assurées dans ma future pratique.

 

De plus, la demande de sens est un motif fréquent de consultation.

 

J’ai donc « plongé dans le sens » (et dans les filets) des mots vie, sens et normal.

 

VIE

Opposés au vitalisme de Bichat, Lamarck, Bernard et Monod n’ont considéré que les propriétés biologiques des corps mais n’ont isolé aucun critère décisif pour définir substantiellement le vivant : la science n’explique ni l’unité de la vie ni le sens qu’elle peut prendre relativement au vécu de chacun.

 

SENS

Le mot sens est polysème : signification, direction et perception ; la question du sens de la vie est donc sémiologique, téléologique, axiologique et ontologique : j’ai recherché la complémentarité de ces approches.

 

NORMES

Enfin, le mot norme désigne une règle, un modèle.

Les normes peuvent être collectives, individuelles, statistiques, culturelles ou fondées sur l’adaptation et la survie.

Leur rôle épistémologique est d’ordonnancer l’action comme la connaissance et la norme praxologique est dépendante d’une philosophie de l’action issue d’un consensus moral et politique inféodé aux valeurs d’une société.

 

Bernard décrit la genèse des lois en sciences naturelles (1865, p 271) : une hypothèse doit relier les phénomènes aux principes de façon rationnelle, combiner les observations isolées pour fonder une théorie.

Une norme issue d’une erreur épistémologique pourrait rendre difficile l’identification normative des individus.

 

La responsabilité éthique est fondamentale car « les choses répétées plaisent » : pour établir une classification naturelle ou évaluer des valeurs, il faut en même temps penser selon des critères et agir, mais penser est déjà une façon d'agir.

 

Le concept de « normal » est ainsi nécessaire à toute action : 

les différentes branches de la psychologie le fondent sur des critères qui les caractérisent.

 

Nous comparerons donc ce concept pour les doctrines physiologique et ontologique dont la « bataille » anime la psychologie et évoqueront la psychologie intégrative qui vise un ordonnancement moins conflictuel des forces en présence.

 

Il sera alors question de sociétés, de leur influence sur l’individu, du phénomène d’individualisation.

 

Certains paradoxes et évolutions seront abordés ainsi que la notion d’œuvre et celle d’histoire. Nous terminerons sur la présentation de deux mythèmes, la fleur et l'arbre.

 

Pour esquisser une vue d’ensemble, j’ai inventorié de nombreuses pistes en renonçant provisoirement à les détailler. Frustration passagère : en adoptant cette démarche, j’ai compris qu’à tout moment, je pourrai revenir puiser dans cet « aide-mémoire ».

 

 

1) PHYSIOLOGIE, ONTOLOGIE, INTÉGRATION

 

A) Approche comparative

 

a) La doctrine physiologique a largement étendu le champ des savoirs en biologie. Broussais, Comte, Bernard défendent l’identité normal/pathologique (ordre/désordre). Contre Descartes, Spinoza critique cette illusion qui ne tient qu’à nos sens et à notre imagination ; pourtant, si Dieu n’est pas un « malin génie », il apparaît légitime de rechercher des lois immuables.
Les tenants de l’esprit naturel défendent l’existence de structures mentales matériellement présentes dans le cerveau (modules) : l’esprit est alors
dans le sujet, les sources des conduites sont substantialisées. Rieff décrit « l’homme psychologique », aboutissement de la thérapeutique value-free qui fait triompher le pragmatisme et l’efficacité scientifique mais appauvrit la culture et ses institutions.

 

L’intégration psychologique et l’autonomie promues menaceraient nos individualités : les « derniers hommes » de Nietzsche vivront des vies banales, la culture deviendra de plus en plus confortable, médiocre, avec une classification pour nouvelle idole. La neurochimie permet la survie en société de personnes dangereuses, pour elles-mêmes ou pour les autres mais reste une camisole : l’utiliser en « première intention » ou par complaisance sans nécessité impérieuse me semble irrespectueux de la personne.

 

b) La doctrine ontologique.

Vernant critique les catégories, longtemps considérées consubstantielles à l’Homme et affirme : « L’homme n’a pas une mémoire, une volonté, une perception, comme il a un estomac ou une tête».

Pour Canguilhem (1979), vitaliste, le pathologique obéit à sa normativité propre, il est une «autre allure de la vie».

Dieu serait alors malicieux puisque l’Homme change : l’ontologie réfute les lois immuables au profit du mystère.

La phénoménologie, elle, étudie la cohérence entre l’esprit objectif préexistant à tout esprit individuel et cet esprit individuel qu’il façonne. 

La « complicité ontologique » entre l’intériorité et l’extérieur est observable et le psychologue peut agir sur l’« Illusio ». Ici, l’esprit est dans le sujet et en dehors de lui.

 

Les connexions valeurs/psychothérapies dévoilées par la psychanalyse ont évolué : la religion et la psychothérapie soulagent toutes deux la souffrance intérieure soulevant la question d’un « facteur commun » (foi, placebo, rites) mais leur collaboration est balbutiante. Les thérapies value-laden soutiennent qu’on ne peut tenter de changer l’esprit d’une personne sans lui proposer une direction particulière.

Pour découvrir la direction adéquate à un patient donné, le « respect de [sa] dimension psychique » est fondamental. Il faudrait orienter notre regard sur un être entier, potentiellement dynamique, écouter le jeu symptomatique de ses maux pour l’inviter à prendre place.

 

B) Approche complémentaire

 

a)La psychologie intégrative utilise la complémentarité de champs théoriques voisins ou antagonistes dans une approche éclectique ou métathéorique : démarche combinatoire, le patient est guidé sans que l’on présume des causes de son trouble. Bonne médiatrice dans la « bataille », cette école crée ses propres critères de pensée et d’action sur l’hypothèse que ces interactions pourraient se révéler profitables au processus thérapeutique.

 

b) L’esprit objectif issu des recherches d’Hegel sur le devenir positif des lois qui structurent notre vie, éclaire la démarche historique. L’esprit objectif est objet, non sujet.

Hegel conçoit le Zeitgeist et expose une forme de vie rationnelle dans l’organisation historique des sociétés : la liberté. Il dénonce non l'application à une science de l'homme de méthodes issues des sciences naturelles mais leur réduction à des représentations.

Le fait social, qui contraint l'individu, est traité en « chose »; l’esprit subjectif (représentation et saisie de l’esprit comme faculté de représentation) est un pas sur le chemin de l'intelligence qui cherche à se connaître. Le rôle de l’individu importe : principe de particularité et reconnaissance des droits à la subjectivité sont l’essence de la modernité. Les qualia réfutent le physicalisme, intersubjectivité et intentionnalité sont incontournables. Hegel étudie les connections entre représentations individuelles et collectives, lien entre psychologie et sociologie.

 

c)Le paradigme de Popper : le monde 1 correspondrait aux phénomènes physico-chimiques, le 2 à l’activité psychique subjective, le 3 à la connaissance objective des productions de l’esprit. Les mondes 1 et 2 seraient communs aux animaux et aux hommes ; le 3, exclusivement humain puisque lié à notre langage, jouirait d’une « autonomie partielle ».
Ils exerceraient un contrôle rétroactif les uns sur les autres.

Popper décrit quatre fonctions du langage auxquelles serait corrélée leur émergence : l’expression, le signal, la description et la discussion argumentée. Ces fonctions aussi exerceraient un contrôle plastique entre elles et par analogie, l’âme exercerait ce même type de contrôle sur le corps.

Thèse interactionniste (donc dualiste) : Popper est néo-cartésien, mêle réalisme, indéterminisme et évolutionnisme. L’esprit serait un processus émergent qui « semble indispensable pour rendre compte du monde historique, de notre vie politique et des institutions, [il] indique au moins l’existence d’un vide, d’une place que la sociologie a pour tâche de remplir avec quelque chose de plus raisonnable.» (1956, p146).

 

2) SOCIOLOGIE

 

A) L’influence de la société sur l’individu

 

a) L’abîme. Les structures sont omniprésentes : Legendre (1996) constate la domestication des corps qui permet la vie en société : l’institutionnalisation du nourrisson par le langage et le pouvoir symbolique de la loi doublant le monde. Il décrit le marquage subi par le bébé occidental : l’adulte, ayant appris quelle place est la sienne dans la filiation, doit s’y tenir, payer sa dette, sacrifier à son tour. Si cette place n’est pas garantie institutionnellement, l’individu remplira ce vide comme il le pourra. L’influence des parents donc est décisive.

 

 

b) L’anomie. La religion/société, propre à la condition humaine, naîtrait dans des conditions « d’effervescence collective ». Créant normes, rites, mythes, elle assure l’intégration des individus, leur permet de se représenter l’univers (où l’homme de bien suit le code moral). Durkheim pose alors la question du libre arbitre et décrit comment les sociétés contraignent les individus. Positiviste, il distingue le normal du pathologique dans l’état du lien social et pose son diagnostic : l’anomie (du grec nomos), pathologie de la division du travail menant à l’individualisation, à l’effondrement des structures et cause de nombreux suicides.

 

c) L’ontologie politique. Castoriadis distingue l’être premier, le vivant, l’être psychique (humain), le social-historique, le collectif anonyme et le sujet autonome, par opposition aux individus hétéronomes. « La psyché n’est pas l’individu » (mais représentations, affects et intentions), elle le devient en subissant un processus de socialisation. La liberté réclame des transformations institutionnelles mais nulle société ne « saurait s’auto-instituer de manière réflexive et collective si les individus qui la composent ne sont pas eux-mêmes entrés dans une dynamique réflexive.»

 

B) Individualisation, individualisme et individualité

 

a) Réseau, socialisation, individualisation. Selon Elias, la curialisation de la société a favorisé la réflexion psychologique sur soi. Il étudie les notions d’individualisation, de pouvoir et d’habitus (Bourdieu, Mauss) et considère chaque conduite comme fonction et conséquence de relations s’expliquant dans un réseau.

Or, le réseau est un intermédiaire qui permet de passer d’un état à un autre entre un couple d’opposés, (thématique chère à Jung qu'il faudra développer ultérieurement). Il est dit « réseau-cathédrale de par sa présence du futur et l’incarnation du mystère qu’il suscite».

Système nerveux, sanguin, cerveau, société, monde, l'organisme en réseau est un filet : symbole du présent, de la transition, il retient ou laisse passer.

Héraclite évoque le rôle du Logos : la seule constante est le changement.

 

c) La poussée du « narcissisme ». Lasch questionne le lien social : la démocratisation de la culture uniformiserait, manipulerait les citoyens. Les Lumières, ayant fait taire les particularismes, ont rompu avec les traditions et enclenché la révolution culturelle. Lasch affirme que la structure du système actuel dissout les cultures dans le « narcissisme » (Martucelli, 2004) : « Le narcissisme comme figure sociale de repli ou d’implosion vers soi apparaît comme une conséquence de l’effondrement de l’autorité et des sources possibles d’identification normative».

 

d) Le désenchantement du monde Le christianisme serait « la religion de la sortie de la religion.» Gauchet (1985) propose une alternative, l’écologie : il ne s’agirait plus d’occuper sa place en conformité à un éternel passé mais de concevoir une nouvelle dialectique des sujets « qu'aucune institution ne peut contenir car [elle peut] effectivement transformer le monde.» Le véritable dualisme serait donc celui qui sépare le dieu transcendant du monde, le sujet de l’objet. Renonçant à la « passion du même », l'écologie « trouverait sa légitimité dans l'avenir préservé et renouerait avec la prudence des sociétés traditionnelles», permettant à l’humanité de diriger son destin.

 

La sociologie serait-elle l’état positif annoncé par Comte ? Il faudrait collectivement « tisser du neuf » au fil des objectivations du passé mais les Humains oublient vite (les Bandar-Log du Livre de la Jungle de Kipling en sont un symbole). Les œuvres sont notre mémoire.

 

3) HISTOIRE Selon Koch (1964, p359), « La psychologie présente cette particularité qu’on ne peut y faire un pas en avant sans faire en même temps un pas en arrière, vers l’origine et l’originel.»

 

A) Intégration des paradoxes

 

a) Accepter le bon grain et l’ivraie. Maître Eckart voit la perfection de l’homme lorsqu’il constitue une œuvre cohérente de tous ses actes : « L’on s’élève dans ses œuvres en sorte qu’elles se fondent toutes en une seule œuvre ». En réintégrant ses projections objectales, l’homme récupère de l’énergie psychique. La theosis le libère : il peut créer le « mythe de sa vie », sa "genèse".

 

b) L’inquiétante étrangeté de l’être. Jentsch, Freud, Lacan (extimité) et Roustang (étrange familier) ont travaillé sur l’« Unheimlich. » Freud l’expérimenta dans un train, effrayé par son propre reflet. Miroirs, permutations, Ragnarok viking, Metu hébreu, caducées, les traditions décrivent un axe double des mondes. Selon la Table d’Émeraude d’Hermès Trismégiste, « Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas pour faire les miracles d’une seule chose. » On pensera à l’Arbre des Sephirot ou à l'Yggdrasil des Normands, aux lacs miroitants des fées celtes, à Narcisse et Echo mais aussi à Janus, aux Alcis (Tacite), à Hermaphrodite et Salmacis qui symbolisent l’union des contraires.

Ces mythes sont présents : des chamanes au Chevalier d’Eon, de David Bowie à la Gay Pride, l’identité « queer » (étrange) ou « trans » (qui traverse) questionne notre place dans la société. Il s’agit sans doute là encore de distinguer le naturel du culturel ; ici, le sexe du genre.

 

c) L’énantiodromie et les organisateurs du sens : « L’énantiodromie est le retournement en son contraire de l’attitude consciente et la brusque apparition de la contre-position qui, dans l’inconscient, s’est construite en compensation par suite d’une position consciente beaucoup trop orientée dans une seule direction et au détriment de son opposé Ce paradoxe, observable, est symbolisé par la figure du « faîte suprême » ou Taijitu (Yin et Yang).

Elie Humbert (article entier en fin de page) psychologue et universitaire jungien français, insiste sur la nécessité d’un regard scientifique constant sur la théorie qui mène à la "psychologie des profondeurs" et définit la fonction des archétypes, « organisateurs de l’inconscient » : ils font sens .

 

La question du sens ne saurait devenir un credo, ne pouvant être formulée hors du Kairos : il faut éviter d’y plaquer une interprétation ou un présupposé théorique (trompeurs) : il en adviendra ce qui a à advenir.

La rigueur consiste à sentir l'émotion présente sans se laisser envahir par elle, à voir l’humain en entier, surtout le Soi, ce « plus intime en chacun et [le] plus collectif en tous».

Les archétypes initient un double mouvement entre la notion de rupture (certaine) et celle de réorganisation (incertaine) qui, lorsqu’elle se produit, permet à la psyché un véritable « devenir conscient ».

La question du sens s’oppose donc à un discours du sens, simple mythe s’il se pose en révélation : elle nous dépossède (doublement) « par le démantèlement radical de nos constructions imaginaires».

 

Humbert est laïc, habiter sa faiblesse est un choix, une évaluation intime : «L’effet de sens est un lien en même temps qu’une orientation» et « c’est sur une pente qui va vers le vide qu’émerge le sens».

 

La fonction de relation, basée sur nos valeurs, est « l’élément unificateur » dans le réseau entre soi et l’autre, entre soi-même et l’autre en soi.

 

« C’est l’expérience d’être entier qui répond à la question du sens. »

 

B) Evolutions

 

a) L’artisan

Alain évoque le « grand secret des arts » et le principe de plaisir.

"Le grand secret des arts, mais aussi le plus caché, c'est que l'Homme n'invente qu'autant qu'il fait, et qu'autant qu'il perçoit ce qu'il fait. Par exemple, le potier invente quand il fait ; et ce qui lui apparaît plaisant dans ce qu'il fait, il le continue. Le chanteur aussi. Et celui qui dessine aussi. 

Au contraire, ceux qui portent un grand projet dans leur rêverie seulement ne font jamais rien.

L'écrivain aussi est soumis à cette loi de n'inventer que ce qu'il écrit ; dès que ce qu'il a écrit a valeur d'objet, il est amené à écrire encore et encore autre chose ; aussi c'est un grand art de ne pas raturer, mais au contraire de sauver tout. Cette idée offre des perspectives..."

Roustang lui, décrit le savoir-faire de l’artisan, impliquant également le Kairos : l’apprenti peine à apprendre les gestes (s’en plaint) ; le compagnon (sorti de la plainte) observe, cherche à bien faire et le maître est ici et maintenant / ici et partout : dans le grand œuvre.

Compagnons du devoir, archers (Herrigel, 1993) ou maîtres zens savent que «désormais, il faut qu’il n’y ait plus même cette épaisseur de cheveu entre l’inspiration et l’exécution.» (Lemière, 1958).

Pour Roustang, « l’essentiel du travail du thérapeute consiste à ne rien faire » : il nous provoque par omission de l’apprentissage rigoureux et « in/dispensable » qui permet de tenir cette place, alors légitime.

 

b) L’étude des œuvres.

Le psychologue ne peut dissocier la science de l’expression de la connaissance, de la compréhension des symboles (Koch, 1964, 359). Une symbolique de l’espace existe dans les œuvres humaines : Jung aborde « l’arbre psychologique» : « L’alchimie a vu l’union des contraires sous le symbole de l’arbre et il n’est donc pas étonnant que l’inconscient de l’homme d’aujourd’hui qui ne se sent plus chez lui dans son univers et qui ne peut fonder son existence, ni sur le passé qui n’est plus, ni sur l’avenir qui n’est pas encore, reprenne le symbole de l’arbre cosmique, enraciné dans ce monde et s’élevant vers le pôle céleste, l’arbre qui est également l’homme.» (1954, ch6).

 

Le Mystère de la Fleur d'Or nous invite à une éclosion, tout comme le symbole Rose-croix  qui promet "le miel de la rose aux abeilles" (Dat rosa mel apibus).

 

c) La psychologie historique, objective et comparative. A l’origine d’un projet pluridisciplinaire, Meyerson s’oppose à Piéron sur « le dogmatisme de la permanence : la croyance dans le caractère immuable des fonctions et des catégories de l'esprit » (Parot, 1996) et défend une orientation historique de la psychologie : l'esprit ne peut être étudié que dans ses objectivations car il n'y a pas de réalité spirituelle en dehors des actes des hommes. Notre pensée s'objective dans les « œuvres » (productions de l’esprit) qui, déposées dans la culture, transcendent leur créateur : « l’objectivation produit des œuvres spécifiques d'un temps et d'un lieu donné».

Les récits mythologiques des Viking, leur cosmogonie et leur système runique m’ont appris cela.

 

CONCLUSIONS : Les approches comparatives de Dumézil et Meyerson pourraient être mises en cohérence. J’ai l’intention d’étudier « l’entrée dans l’humain » en mettant à l’épreuve de façon constructiviste, la compatibilité entre le cadre théorique de Meyerson, la psychologie jungienne des profondeurs et la mythologie.

Philosophie de l’esprit (qualia, Da-sein analyse, existentiaux, épochè), intentionnalité et intersubjectivité, énantiodromie et psychologie historique m’ouvrent de nouveaux horizons. J’éprouve la certitude que l’humain, tiraillé entre matériel et symbolique, entre passé et avenir et soumis à la loi du temps ne peut agir et changer qu’au présent, précisément difficile à concevoir. Difficultés à s’approprier son vécu et quête de sens sont liées.

 

Dans la « grande » Histoire comme au fil de mes expériences, il m’apparaît normal et sensé de soulager la souffrance intérieure par le partage de rites ou de mots, pratiques humaines efficaces même si l’explication rationnelle nous échappe toujours.

Désaccord essentiel : Freud postule que l’inconscient naît de nos refoulements et Jung affirme que l’inconscient collectif dépose en nous de quoi forger notre conscience : la réflexion chez Jung ne vise plus les actes de la conscience comme des faits naturels mais comme des faits constitutifs d’un objet, lui donnant sens.

 

Vernant est un autre « vieil homme sage » qui admet le paradoxe entre limites et liberté, et pointe notre responsabilité dans un choix à faire: « Quel est le sens de la vie ? C'est ce que les Grecs m'ont appris. Nous sommes des êtres limités. Pourquoi sommes-nous là ? Pour rien. Quel est le sens de tout cela ? Il n'y en a pas. Mais c'est parce que la vie n'a aucun sens préexistant que nous pouvons, nous, lui en donner un. Telle est notre affaire, notre responsabilité. La vie n'a pas d'autre sens que celui que les hommes essaient de lui donner. Il n'y a pas de destin de l'humanité : c'est nous qui décidons du sens qu'aura eu notre vie.»

 

Selon Malraux enfin, «Il n’est qu’un acte sur lequel ne prévale ni la négligence des constellations ni le murmure éternel des fleuves : c’est l’acte par lequel l’homme arrache quelque chose à la mort».

 

Anne Fauchois, Mémoire de licence (Paris V)

Sous la direction de Madame Françoise Parot, professeur émérite d'histoire et épistémologie de la psychologie.


 

" Il faut traiter les choses légères avec sérieux

et il faut traiter les choses graves et sérieuses avec légèreté".

Alphonse Daudet

 

 

"Mieux est de rire que de larmes écrire,

Pour ce que rire est le propre de l'homme."

Rabelais - Gargantua

 



 

 

Le film "Le sens de la vie",

par la joyeuse équipe des Monty Python


Découvrir l'oeuvre de Carl G. Jung

Les spécificités de la psychologie analytique jungienne 

Lien vers la Société Française de Psychologie Analytique (SFPA)

 

L'oeuvre de Jung est immense et elle n'a pas encore été intégralement traduite en français.

Ces deux livres permettent de l'aborder en douceur, sans connaissances psychologiques préalables (autres que sa propre expérience :) 

 

Essai d'exploration de l'inconscient

En 1959, lors d'une interview à la télévision britannique (BBC) réalisée par John Freeman, Jung parla de sa vie, de son oeuvre, de ses idées. Il reçut de très nombreuses lettres écrites par un public non spécialiste, séduit par la qualité de sa présence, par son humour, par sa modestie.

Un peu plus tard Jung rêva « qu'au lieu de parler, assis dans son bureau, avec les grands docteurs et les psychiatres qui venaient le voir du monde entier, il se trouvait sur une place publique, et s'adressait à une foule qui l'écoutait avec une profonde attention, et comprenait ce qu'il disait ... ». Ce fut l'un des événements qui marqua la naissance de ce livre.

Ce texte, l'un des derniers écrit par Jung, est intégré dans le livre collectif « L'homme et ses symboles ». Il donne l'exemple de l'importance que Jung accordait à ses rêves. Il nous renseigne sur le devenir de la conscience : « l'homme [...] n'est devenu conscient que graduellement, laborieusement, au cours d'un processus qui s'est prolongé pendant des siècles innombrables, avant d'arriver au stade de la civilisation [...]. Et cette évolution est loin d'être achevée car de vastes régions de l'esprit humain sont encore entourées de ténèbres."

Éditions Gallimard, collection folio « essais », 181 pages.

 

 

Types psychologiques

Introversion et extraversion sont des termes qui sont passés dans le langage courant. Les "Types psychologiques" font une large place à ces concepts : "Qui ne connaît ces natures fermées, difficilement pénétrables, souvent ombrageuses, qui contrastent violemment avec ces caractères ouverts, sociables, souvent enjoués, ou tout au moins aimables et d'un abord facile, qui s'accordent ou se chicanent avec tout le monde ...". Chacun reconnaîtra l'opposition qui existe entre les caractères de type introverti et ceux de type extraverti.

Au delà de ces types généraux d'attitude, Jung décrit quatre fonctions psychologiques :

  • La pensée.
  • L'intuition.
  • Le sentiment
  • La sensation.

La combinaison des types et des fonctions est décrite tout au long de cet ouvrage de référence. Le dernier chapitre est consacré aux définitions des principaux termes utilisés.

 

Traduction par Yves Le Lay, éditions Georg, 506 pages.

 

FAIRE LE TEST pour connaître votre profil (évolutif) : 

Lien vers une version publique du MBTI  

Le Myers Briggs Type Indicator (MBTI) est un outil d'évaluation psychologique déterminant le type psychologique d'un sujet parmi seize types différents, suivant une méthode proposée en 1962 par Isabel Briggs Myers et Katherine Cook Briggs. 

 

Les "archétypes"

Viviane Thibaudier

Elie Humbert et la question du sensCet exposé a été donné lors du séminaire de novembre 2010 de la S.F.P.A.

Elie Humbert a rencontré Jung à la fin des années 1950, quatre ans avant la mort de Jung avec lequel il a travaillé durant trois années de 1957 à 1960.

Voici ce qu’il dit de lui :
« Il donnait l’impression d’un homme profondément bon, mais qui ne faisait pas de cadeaux. Il savait au fond tellement le poids des distances, le poids des séparations, l’importance des différences, l’importance des ruptures, pour ne pas vous les ménager. » [1]
Ce qu’Humbert dit de Jung on pourrait aussi le dire de lui-même.
Ceux qui l’ont connu en tant qu’analyste (ce qui est mon cas) ou en tant qu’homme : ami ou collègue (ce qui fut également mon cas après mon analyse : dans des groupes de travail auxquels nous avons participé ensemble, aux Cahiers Jungiens de psychanalyse, puis lorsque j’ai publié chez Retz deux recueils de ses écrits, en étroite collaboration avec lui, du moins pour le premier).
Ceux qui l’ont connu donc, peuvent dire la même chose d’Humbert : c’était un homme à la fois bon mais sans concession et qui ne vous ratait pas, qu’il s’agisse de l’analyse ou tout simplement des rapports humains qu’ils soient professionnels ou amicaux.
Sans concession car lui aussi, connaissait le poids des distances, le poids des séparations, l’importance des différences, des ruptures, des désillusions…
Et pour cette raison même, il n’était jamais dans la séduction, il était « là » tout simplement. Entièrement là. Présent, à la fois, à lui-même et à l’autre.
Il ne s’agit en aucun cas de donner dans l’hagiographie, quoique l’on ne puisse jamais être sûr dans de telles « circonstances », mais plutôt, dans la mesure du possible en tout cas, d’essayer de présenter à ceux qui ne la connaissent pas, et ils sont nombreux ici je crois, ce qui fait l’originalité
et la profondeur de la pensée d’Humbert. Pensée qui de surcroît était, ce que j’appellerais, une « belle » pensée.
Une belle pensée qui se manifestait tout particulièrement à travers ses dons d’orateur et donc dans ses cours et ses conférences.
Une belle pensée secondée par une intuition qui portait très loin et très haut ses interrogations, le tout enchâssé dans un sentiment à la fois discret mais sûr qui lui donnait cette si juste capacité d’évaluation.
Fin et passionné lecteur de Jung - qu’il lisait dans le texte - Humbert a su décrypter la trame de son oeuvre de manière extrêmement subtile, tout en mettant toujours en perspective la théorie jungienne avec les autres épistémologies psychanalytiques, celle de Lacan en particulier.

Mais surtout, il a su critiquer cette pensée, avec finesse, intelligence et profondeur, sans chercher à se mettre en avant ou à s’en servir pour sa gloire personnelle. Ni à la « détruire » comme c’est si souvent le cas de la critique « à la française » qui se caractérise par la disqualification de la pensée de l’autre afin d’exercer sa propre domination.
Et cette critique à la fois rigoureuse et respectueuse, c’est ce qui fait précisément tout l’intérêt de la pensée d’Elie Humbert qui a su, il me semble, réactualiser celle de Jung en la prolongeant et la rendant plus adaptée à la clinique d’aujourd’hui.
Cela en tenant compte de certaines données de la clinique que Jung, avec son langage profus, n’a pas bien su nous rendre accessible, (ce qui est vrai de ses livres mais l’est, en fait, beaucoup moins de ses séminaires) en tout cas pas comme nous pourrions le faire aujourd’hui.
Je pense, entre autre, à tout ce qui touche au pulsionnel et au corps et, plus particulièrement, à la clinique du narcissisme. Ce narcissisme qui, dans un premier temps a utilement permis de construire le sujet, mais dont les récupérations discrètes et camouflées peuvent pervertir le sens même du processus d’individuation et le transformer parfois en une terrible volonté de puissance.
À propos de narcissisme, de celui dont le moi récupère la démarche psychanalytique pour la mettre au service de ses buts, Humbert est, là encore, sans concession :
« Il y a pire que le cachot de l’Inquisition, c’est celui dans lequel les interprétations, les prises de conscience, les énergies sont régulièrement reprises : la prison du Narcissisme. Le sujet ne peut entièrement la quitter et il y est à l’état d’instance imaginaire. » [2]
Celui-là n’a donc su ni oser la question du sens, ni bien sûr y entrevoir une réponse .
En d’autres termes il n’a su se trouver lui-même, il est aliéné et toujours en quête d’une « image ».
La question du sens, c’était là le thème favori d’Humbert. Le thème récurrent dont il parlait constamment et même lorsqu’il n’en parlait pas, c’était là, sous-jacent à tous ses textes, à tout ce qu’il disait.
C’est ainsi, et seulement ainsi qu’il concevait l’analyse, l’être soi et « en » soi. Mais « Le sens coûte cher, très cher » [3] disait-il en substance. Et je crois pouvoir dire qu’il en paya
lui-même le prix fort.
La question du sens est ce qui, selon Humbert, caractérise la pensée de Jung et la différencie intrinsèquement de toutes les autres pensées psychanalytiques.

  • À condition cependant de l’interpréter correctement et de savoir véritablement pénétrer au coeur de cette pensée.
  • À condition de ne pas la détourner de son propos réel pour en faire ce qu’elle n’est pas.
  • De ne pas la « récupérer » pour la mettre au service de ses buts et de ses ambitions moïques voire surmoïques.
  • À condition de ne pas en faire un simple « discours » non plus, mais d’en accepter l’enjeu réel et de vivre cette pensée jungienne, au plus près du lieu où elle vient nous interpeler, avec une rigueur et une honnêteté sans faille, vis à vis de soi-même mais aussi vis à vis d’autrui et du monde extérieur.
  • « Totalement », comme le faisaient les mystiques face à cette même question.

Par sa descente périlleuse dans les profondeurs de la pensée de Jung, Humbert nous plonge au coeur même d’une théorie qui diffère fondamentalement des autres pensées analytiques dans le sens
où elle est inévitablement et avant toute chose, une « expérience » et une « pratique » de l’inconscient, comme Jung n’a cessé de l’exprimer dans la plupart de ses écrits de même que dans sa propre vie.
Ancien père carme, Humbert voit dans l’analyse jungienne presque une ascèse. Un chemin de croissance paradoxale qui serait, à la fois, chemin de croix et chemin de sens. Cependant, loin d’en faire une croyance il insiste au contraire sur la rigueur nécessaire et constante d’un regard
scientifique vis à vis de la théorie qui sous tend une telle démarche.
Tout en reconnaissant, la cohérence, le bien fondé, et l’efficacité de la pensée de Jung en tant que démarche analytique, il en décortique les aspects épineux qui prêtent en général le plus à confusion et dans lesquels on s’engouffre parfois avec une certaine complaisance ou que l’on
détourne à son profit.
Tout d’abord, et comme pour se soustraire à leur dangereuse numinosité qui peut si facilement fasciner et induire en erreur celui qui y est confronté, Humbert parle des archétypes en les nommant des « organisateurs de l’inconscient ».
Ceci a le grand avantage de sortir les archétypes du flou dans lequel on les enveloppe souvent.
D’une part, en leur donnant une sorte de consistance et, par ailleurs, cela a l’avantage de parler à notre rationalité plutôt qu’à notre émotionalité.
L’avantage en tout cas, de leur ôter ce caractère semi religieux qu’ils peuvent parfois prendre pour certains.
Qui mieux que lui pouvait vraiment faire la distinction entre croyance religieuse et le questionnement « laïque » du sens qu’il nous propose. Il savait de quoi il parlait. Car la question du sens ne peut en aucun cas prendre la forme d’un credo. Il ne s’agit pas d’un « je crois en toi » dit Humbert, mais bien davantage d’un « père pourquoi me dis-tu cela ? »
Il ne s’agit donc ni de croyance, ni de scepticisme ou de prospective, mais d’un simple questionnement « dans » et « de » l’ici et maintenant.
Quel sens peut avoir, pour moi, ce que je suis en train de vivre en ce moment même ?
Il ne s’agit pas d’y plaquer une interprétation ou un présupposé théorique, qui nous mettrait d’emblée à côté de nous-mêmes, à côté de notre route.
Non, juste un questionnement dont il adviendra ce qui a à advenir, au moment où cela doit advenir.
La question du sens telle que se la pose et « nous » la pose Humbert, ne peut donc être formulée hors du Kaïros, du moment juste. Il y a un rapport étroit, intime, entre les deux.
Humbert considère les organisateurs comme un apport important de Jung à la compréhension des dynamismes inconscients en tant qu’ils sont précisément pour lui des « formes qui incarnent le sens ». Mais le problème consiste à ne pas se laisser posséder lors de leur émergence et à ne pas
abandonner son « entièreté » face à eux. C’est-à-dire à toujours parvenir à conserver un lien entre conscient et inconscient, entre une vision scientifique et l’ouverture sur l’inconnu, aussi mystérieux ou effrayant puisse-t-il être.
La rigueur, dans ce cas, consiste donc « à ne pas céder à l’émotion… mais à maintenir la question de la totalité de l’homme » dit Humbert. Et c’est tout particulièrement vrai lorsqu’il s’agit du Soi, ce « plus intime en chacun et (le) plus collectif en tous » [4]

Dans un double mouvement psychique il s’agit alors de parvenir à s’ouvrir aux dimensions inconscientes du sens que véhiculent ces organisateurs tout en les ramenant à une dimension « humaine » inhérente à un véritable « devenir conscient » qui, dit Humbert « est à la fois démarche scientifique et naissance d’un sujet ».
Un véritable devenir conscient c’est-à-dire un devenir « entier » où, les opposés, conscient et inconscient, sont, à la fois, en lien et en tension l’un avec l’autre.
Les archétypes ne sont donc pas des entités mystérieuses ou magiques, une sorte d’étoile du berger qui viendrait nous montrer un chemin à suivre.
Ce sont des « organisateurs du sens », et, vus sous cet angle, ils impliquent un autre double mouvement, à la fois de rupture et d’aménagement ce qui en fait des points nodaux du processus d’individuation qui invitent au changement.
Mais là encore, il est fondamental de tenir la tension paradoxale dans laquelle nous met ce double mouvement, celui certain de la rupture et, celui, totalement incertain, de la réorganisation. L’un ne peut aller sans l’autre, ni se superposer ou se substituer à l’autre, sans quoi, l’on passerait à côté
du véritable « devenir conscient » tel que l’entend Jung en tout cas. Ce qui nous amène au point suivant.
Dans sa tentative de déjouer les pièges que peut nous tendre la pensée de Jung, Humbert s’applique en particulier à démonter l’une de ses notions premières : celle de « sacrifice ».
Le « sacrifice » qui est sans aucun doute l’un des enjeux majeurs de l’analyse jungienne, ne doit cependant pas devenir « un programme » dit Humbert, auquel cas il pervertirait et rendrait non signifiante la question du sens.
Car la question du sens est opposée à un « discours du sens » qui, pour lui, est un mythe puisque dans la mesure où il se pose comme « vérité », il se donne comme une « révélation ». [5]

Que veut-il dire par là ?
Pour Humbert, fidèle à Jung à ce propos, le sujet ne peut naitre que d’une position obscure. Celle où le moi se retrouve sans savoir et sans pouvoir, d’où l’importance fondamentale de débusquer ces « niches narcissiques » où se récupère discrètement le narcissisme. D’où l’importance d’un travail en profondeur sur le narcissisme.
« Celui qui se tient où il ne peut plus rien, dit Humbert, commence à toucher un au-delà de son moi » [6].
Ce qui signifie que le « sacrifice » tout en étant un acte conscient et consenti par le moi, ne peut avoir lieu que s’il s’origine véritablement dans l’inconscient et en dehors de toute volonté. Il ne peut être décidé à l’avance, piloté, commandé.
Que s’il s’origine véritablement dans l’inconscient, et à l’heure de notre plus grande faiblesse, de notre plus grande vulnérabilité.
Dans ce temps écliptique où nous sommes contraints d’ accepter d’être aussi dans la plus grande obscurité.
C’est-à-dire en un temps où le moi a totalement abdiqué, lors d’une mise en question radicale au cours de laquelle des pans entiers de la réalité se sont effondrés les uns après les autres. Je cite Humbert :
« Perte de l’assurance dans le langage, perte des images de soi-même, perte des repères dans le temps, perte du personnage et de ses buts, perte de l’idéal du couple, perte de Dieu ou des absolus qui en tenaient la place. On prend conscience du tissus de l’illusion. C’est le désenchantement. » [7]
À ce niveau nous pourrions certes rejoindre les mystiques, « le fond sans fond » de Maître Eckhard, ou Jean de la Croix qui descendit « si bas, si bas… », mais à une nuance près et de taille. C ’est que la démarche ici se fait en l’absence de toute croyance, en l’absence d’un quelconque Dieu, qu’il ait pour nom, Amour, Pouvoir, Christ, Bouddha ou Soi (S majuscule).
Habiter sa faiblesse est un choix, c’est-à-dire une évaluation personnelle où le sentiment joue un rôle déterminant :
« l’effet de sens est un lien en même temps qu’une orientation » dit Humbert [8]
Mais que l’on ne s’y trompe pas, car la perception de cette orientation n’est nullement une finalité mais bien avant tout un vécu. Humbert dit même « le vécu d’une pente ». Et il insiste : « C’est sur une pente qui va vers le vide qu’émerge le sens » [9]
« Maintenir au cours d’une crise - dans sa propre vie ou avec un patient – que « ça doit avoir un sens », dit encore Humbert, ce n’est pas réclamer un objet apaisant, c’est se tenir éveillé au milieu des contradictions, jusqu’à ce que survienne quelque chose qui fasse un sens. » [10]
Notons qu’Humbert dit bien « dans sa propre vie ou avec un patient » Signifiant par là que l’analyste est impliqué au plus haut point dans ce processus et, qu’il va de soi pour lui, qu’il est indispensable qu’il ait accepté l’enjeu pour lui même. Qu’il ait fait, lui aussi, l’expérience de ce vécu vertigineux.
Et si nous devenions analyste pour compenser le manque ? pour masquer les trous du narcissisme ? pour éviter la vraie confrontation avec notre plus grande faiblesse ? pour éviter de nous retrouver dans notre obscurité la plus opaque ?
C’est un grand risque dans nos sociétés d’analystes, nous en voyons les effets tous les jours. C’est en tout cas une question que devrait se poser tout analyste qu’il soit : en formation, formé, ou formateur.
L’analyste qui se sera habilement arrangé pour contourner cette pente qui va vers le vide, aura du même coup, éludé la question du sens, dans le sens où elle implique tout à la fois pour Humbert :
un laisser advenir et la confrontation avec ce qui risque ainsi d’en émerger.
Pourra-t-il alors permettre à ses patients de « devenir conscient » c’est-à-dire des êtres « entiers » ? Car, dit Humbert, c’est l’expérience d’être entier qui répond à la question du sens.
Pourra-t-il permettre à son patient de formuler, à son tour, et de laisser se présenter un jour, une réponse à la question du sens ?
Jung a consacré l’un de ses derniers ouvrages à Job. Et derrière la parabole de Job qui ponctue presque son oeuvre, se profile l’essence de sa démarche, le centre même de la psychologie jungienne.

Job ruiné, ne demande pas d’explication. Il se tient simplement en face de Yahweh, en silence, ce qui va obliger Yahweh à se remettre en question et à faire que cette absurdité prenne sens.
Pour cela le Dieu terrible et inconscient doit se faire homme et prendre une nouvelle conscience de lui-même en se confrontant à son ombre et au mal qui est en lui. Son incarnation ne pourra avoir lieu qu’au travers d’une souffrance humaine qui l’amènera aussi à rencontrer la dimension d’éros qui l’habite. C’est-à-dire la fonction de relation basée sur le sentiment des valeurs, qui est l’élément unificateur entre soi et l’autre, entre soi-même et l’autre en soi.
La question du sens est « une question qui ne demande rien » dit Humbert.
Ce faisant elle est en parfaite adéquation avec ce que, d’une autre manière, disait déjà Jung en 1915 à son ami Hans Schmid :
« la véritable compréhension est ce que l’on ne comprend pas mais qui vit et agit”. [11]
Humbert n’avait pas eu accès au Livre Rouge sorti tout récemment.
Ce livre, où Jung se dévoile à nous sur une pente qui va vers le vide, est comme un écho, 20 ans après la disparition d’Humbert, à ce qui l’avait amené à poser, en ces termes, la question du sens.
Un cheminement hasardeux, incertain qui, paradoxalement, mène à une certitude : à savoir que le sujet ne peut véritablement naître que d’une position obscure, sans savoir et sans pouvoir.
Une question qui ne demande rien et qui nous « dépossède » (dans les deux sens du terme), mais nous permet aussi, et surtout, de « devenir » ce que nous sommes vraiment, par le démantèlement radical de nos constructions imaginaires.

Notes

[1Elie Humbert, La dimension d’aimer, Paris, Cahiers Jungiens de Psychanalyse, 1994, p32

[2Elie Humbert, L’homme aux prises avec l’inconscient, Paris, Retz, 1992, p150

[3Elie Humbert, Ibid, p142

[4Elie Humbert, L’homme aux prises avec l’inconscient, op.c., p151

[5Elie Humbert, Ecrits sur Jung, Paris, Retz, 1993, p159

[6Elie Humbert, L’homme aux prises avec l’inconscient, op.c., p150

[7Elie Humbert, L’homme aux prises avec l’inconscient, op.c., p144

[8Elie Humbert, Ibid, p149

[9Elie Humbert, Ibid, p149

[10Elie Humbert, Ecrits sur Jung, op.c., p161

[11CG Jung, Correspondance 1906-1940, Paris, Albin Michel, 1992, p. 66


La crise du milieu de vie est une crise existentielle, une crise de sens.

Aux alentours de la quarantaine nous avons soudain l'impression que nos rêves sont derrière nous. Qu'avons-nous fait de nos vies ? Et si c'était à refaire ? La remise en question est inévitable, mais elle est aussi riche d'enseignements.

Nous avons passé la première partie de nos vies à solliciter la reconnaissance de nos proches et de nos pairs. Il est temps à présent de nous soustraire au regard de l'autre pour vivre notre vie.

Cet ouvrage nous invite à découvrir ce que nous sommes en profondeur. Accéder à la liberté confiante d'être soi, nous libérer de nos revendications, de nos souffrances infantiles sans cesse ressassées, de nos projections sur les autres, tel est l'enjeu de ce milieu de vie qui peut alors être l'occasion d'un nouveau départ...

  

"Je suis jeune, il est vrai ; mais aux âmes bien nées,

La valeur n'attend point le nombre des années."

 

(Corneille, Le Cid)