Honte ou culpabilité ?

 

La honte et culpabilité sont deux sentiments extrêmement puissants dans la mésestime de soi. Le but de cet article est de distinguer les mécanismes qui conduisent à leurs apprentissages, car ce ne sont pas des sentiments innés chez l'humain, mais bel et bien des apprentissages acquis progressivement par la culture.

 

La littérature psycho-thérapeutique sur la honte est plus rare que celle sur la culpabilité : commençons par quelques...

 

Définitions

 

La Honte

 

Définitions du Littré

 

Le mot "shame" en anglais vient du mot indo-européen "schame" qui signifie cacher, dissimuler. Il est alors question de comprendre pourquoi et comment des individus cachent ou dissimulent leur pleine expression d'eux-mêmes par suite d'affronts ou de disgrâces.

 

Un ressenti honteux reflète une expérience avilissante, dégradante ou humiliante, infligée par la conduite d'une autre personne ; la honte est provoquée par "la perte du lien d'amour avec des tiers importants qui sont, ou sont supposés être nécessaires à la survie psychologique et physique de la personne." (Goldberg).

 

Le résultat en est la perte de l'estime de soi et l'attitude consistant à cacher aux autres le sentiment de soi dégradé pour se protéger et pour se soustraire à tout reproche ou insulte potentielle.

 

La honte est une expérience solitaire qui représente une crainte spéciale comme un instinct d'autoprotection.

Elle peut également être considérée comme "le creuset de la liberté humaine" et créditée d'un potentiel constructif.

 

Lynd (1958), l'un des premiers auteurs ayant écrit sur la honte, a défini celle-ci comme le sentiment d'une blessure infligée à la confiance en soi et en les autres.

 

Lewis (1971), a décrit la honte comme une réduction de l'estime de soi et de l'estime des autres, qui débouche sur de la fureur ou de la colère, qui fonctionne dans le but de récupérer le sentiment d'avoir de la valeur.

 

"La honte est le sentiment fort d'être irrémédiablement différent, à part, et d'être moins que les autres êtres humains." (article de Richard Erskine : Honte et Arrogance vertueuse : perspectives transactionnalistes et interventions cliniques.)

 

Fossum et Mason

La honte est une sensation interne d’être complètement diminué ou insuffisant en tant que personne. C’est le soi qui juge le soi. Un moment de honte peut constituer une humiliation si douloureuse que l’on se sent dépouillé de sa propre dignité, exposé dans une incapacité totale, mauvais ou passible de rejet. Un sentiment omniprésent de honte se traduit par l’idée continue que l’on est fondamentalement mauvais, plein de défauts, indigne, pas vraiment valable en tant qu’être humain.

 

Kaufman

Avoir honte, c’est se sentir vu dans une position douloureuse et diminuée. Le soi se sent exposé à lui-même et à toute autre personne présente. L’expérience est incapacitante, parce qu’on a l’impression qu’il n’existe aucune façon d’atténuer les choses ou d’en rétablir l’équilibre. On a tout simplement échoué en tant qu’humain. Ce n’est pas qu’une action est perçue comme incorrecte, car de cela on pourrait faire réparation : c’est qu’il n’y a rien que je puisse faire pour compenser.

Là est l’impuissance liée à la honte : son affect inhibiteur porte sur l’entièreté du soi.

 

La PNL explique la honte comme "la transgression d'une valeur". C'est un concept intéressant car il permet à une personne honteuse de chercher la valeur transgressée et cela peut aider à trouver l'origine de la honte.

 

 

La culpabilité

 

Définitions du Littré : coupable et culpabilité

 

Sentiment plus ou moins diffus de commettre une faute

Nécessaire à toute vie sociale mais parfois douloureux et contraignant, le sentiment de culpabilité est l’impression de ne pas être juste, d'avoir, en fantasme ou réellement, enfreint un tabou, de nourrir un désir défendu, d'avoir eu un comportement coupable face à telle personne ou telle situation.

Il en naît une forte angoisse et une tendance à l'auto accusation.

 
A la lecture de ces définitions apparaît une différence essentielle entre la honte et la culpabilité : 

 

La honte porte sur le soi alors que la culpabilité concerne ce qu'on fait.

 

La pensée type de la personne honteuse : "il y a quelque chose qui cloche en moi"

 

La pensée type de la personne coupable : "j'ai fait quelque chose de mal" 

 


A quoi sert la honte ?

 

D'une façon générale, il me semble que la honte est liée à l'appartenance.

 

La honte semble être une tentative désespérée pour appartenir quand même, alors même qu'il nous semble que nous ne sommes pas acceptables aux yeux des autres.

En vivant la honte nous signifions au clan ou à l'autre que nous acceptons les codes établis et que nous nous soumettons en sacrifiant notre dignité.

 

La honte est directement liée au "regard" de l'autre, d'ailleurs il peut nous arriver de faire en solitaire des choses qui nous sembleraient totalement honteuse en présence de quelqu'un d'autre.

La honte est un sentiment très invalidant car elle porte sur ce que l'on est.

Si nous sommes mauvais ou indigne, il n'y a pas de solution pour s'en sortir, aucune action ne peut changer ce que l'on est !

 

Mais si la honte est un sentiment acquis, pourquoi choisit-on de la ressentir ?

 

Quelques hypothèses :

 

Dans la théorie de la relation d'objet, Fairbain décrit ceci : "le bébé a besoin de garder sa mère comme bon objet, si la mère devient le mauvais objet, le bébé prends sur lui d'être le mauvais objet et donc la mère peut rester le bon objet. La honte ainsi créé est une honte essentielle qui est engrammée dans le corps. La personne devenue adulte se vivra comme le mauvais objet même si elle comprend intellectuellement que ce n'est pas vrai."

 

Le bébé ou l'enfant vit une expérience de plaisir et d'excitation, mais ce vécu est nié ou négativé par un adulte. L'enfant comprend "c'est mal ce que je vis" et il enregistre cette croyance au niveau corporel et bloque son excitation par de la honte. 

 

Richard Erskine explique que la honte peut remplir plusieurs fonctions :

 

Elle permet, en se soumettant à des messages verbaux ou non verbaux, de garder une relation que l'enfant perçoit comme nécessaire à sa survie, bien qu'elle ne corresponde pas à ses besoins.

L'enfant intériorise des réactions telles que : "Mais enfin qu'est-ce qui ne va pas chez toi ?"

Le sentiment de honte peut être une conclusion que l'enfant tire lorsqu'il se trouve confronté à une tâche impossible (je n'arrive pas à empêcher Papa de se saouler) ou à une double contrainte (une mère qui dirait à son enfant "viens m'embrasser" puis qui se raidirait et prendrait un air dégoûté quand l'enfant vient lui faire un câlin.)

 

La honte peut être une réaction défensive de contrôle et d'espoir d'une relation valable. Lorsqu'un enfant se sent responsable de sa famille (c'est à cause de moi que Maman est déprimée), il prend sur lui la responsabilité de la situation et en situe l'origine en lui-même. Cela lui permet d'imaginer qu'il a le contrôle et qu'il peut résoudre l'échec relationnel présent.

 

La honte permet de garder l'illusion d'attachement, de présence et de fidélité à la figure parentale qui en est la cause.

  

Elle peut être également l'introjection de la honte d'une figure parentale ou d'un groupe parental (par exemple : acte illégal ou odieux d'un membre de la famille qui fait que la famille se sent honteuse.)

 

En termes d'Approche Centrée sur la Personne, nous pouvons mettre la honte en lien avec une absence de "considération positive inconditionnelle".

 

Si la considération est négative (tu ne vaux rien), ou positive conditionnelle (tu vaux quelque chose si et seulement si...), l'enfant s'adapte au désir parental pour obtenir la sécurité affective dont il a besoin pour se développer.

 

Rappelons que sans considération positive, un enfant dépérit.

 


 

"Ecouter la honte" (vidéo VOST FR)

 

"La honte est une épidémie dont on ne parle pas, le secret qui se cache derrière beaucoup de formes de mauvais comportements.

 

 

 Brené Brown, qui avait déjà eu un succès viral avec son discours sur la vulnérabilité, explore ce qui peut se passer quand les gens affrontent la honte de plein fouet. Son humour, son humanité et sa vulnérabilité rayonnent de ses mots."


 

« Si vous voulez comprendre pourquoi je n’ai rien dit, il vous suffit de chercher ce qui m’a forcé à me taire. Je vais donc me taire pour me protéger. Le honteux aspire à parler, mais ne peut rien vous dire tant il craint votre regard.

Alors, il raconte l’histoire d’un autre qui, comme lui, a connu un fracas incroyable.

À la honte qui me fait me taire s’ajoute, si je parle, la culpabilité de vous entraîner dans mon malheur. Chacun de nous a connu la honte, que ce soit deux heures ou vingt ans. 

Or ce poison de l’existence ne crée pas un destin inexorable. » (B.C.)

 

Un nouveau visage de la honte, "Mourir de dire" : "inédit, émouvant et profond, nourri par les acquis les plus récents des neurosciences et de la psychologie."


Les comportements induits par la honte

 

Pour pouvoir vivre malgré la honte, nous trouvons des stratégies qui nous permettent de ne pas ressentir ce terrible sentiment.

 

Le mensonge, pour éviter d'être confronté

 

L’évitement : on évite toutes circonstances en lien avec le premier vécu de honte. Par exemple si on a une honte de montrer son corps on évite alors les piscines, les vacances au soleil, etc…

 

La négation, opposition : C’est le propre de ceux qui dise « je m’en fous », ces personnes ont une conduite éhontée, elles se mettent dans des situations honteuses et semblent s’en réjouir. C’est un peu comme l’enfant qui dit « même pas mal ». La honte est retournée, ce sont alors les proches de la personne qui ont honte. C'est le cas très souvent dans l'alcoolisme par exemple.

 

La projection : on renvoie la honte sur l’autre ou on fait honte à l’autre.

 

Les addictions : utilisation de substances telles que l’alcool ou la drogue pour surmonter sa honte.

 

Plus généralement la personne honteuse a une estime d’elle-même très basse et se dévalorise de toutes les façons possibles.

 


Comment sortir de la honte ?

 

 

Si vous rotez à la table de la reine d'Angleterre, cela n'a pas la même signification que si vous rotez à la table d'un cheikh d'Arabie ! (Question d'étiquette !)

 

Sortir de la honte n’est pas facile, le premier constat à faire est qu’elle ne repose sur aucune vérité absolue mais sur des vérités subjectives, culturelles.

 

Une personne peut ne pas "être mauvaise" mais avoir des comportements « mauvais ».

 

Il faut donc dissocier le « faire » de l’ « être ». Cette distinction est le premier pas à faire mais il est très rare qu’elle aboutisse à la résolution de la honte. En effet la honte se loge au niveau corporel et émotionnel et une simple prise de conscience intellectuelle ne suffit pas. Pour dépasser le sentiment de honte plusieurs solutions sont possibles :

 

Un revécu de honte dans une circonstance « favorable » (devant un thérapeute, par exemple) permet une expérience positive et résolutoire.

 

Les techniques mobilisant le corps et les émotions sont efficaces : EFT, EMDR, Bioénergie, etc…

 

La PNL est l'hypnose sont des méthodes trés efficaces pour résoudre la honte en sécurité.

 

Le travail sur l’inconscient est efficace : Analyse des rêves, Symbolismes, Psychanalyse, etc…

 

Le travail régressif en psychothérapie.

 

***

 

Et le dégoût ?

 

D'après Maurice Corcos, le dégoût serait la première manifestation de la honte chez le nourrisson

 


A quoi sert la culpabilité ?

 

La culpabilité tout comme la honte permet de ne pas se sentir rejeté. En reconnaissant que nous sommes coupables, nous nous soumettons au jugement de la famille, de la religion, de l'état, etc... Et de ce fait nous pouvons continuer à appartenir à ces instances (ou au moins en avoir l'illusion).

 Vue sous cet angle-là la culpabilité parait être un sentiment honorable.

 

Là où le bât blesse, c'est que la culpabilité en nous reliant à des instances extérieures, ne nous permet pas de prendre la pleine responsabilité de nos actes.

Par exemple : si je me sens coupable d'avoir menti, je suis coupable parce que j'ai appris que c'est mal de mentir ("loi") mais si j'assume la responsabilité de mes actes, il pourra alors apparaître que j'ai menti parce que j'avais peur de dire la vérité ou que je souhaitais éviter de blesser quelqu'un.

Je pourrai alors me reconnecter à moi-même, à mes vrais ressentis et résoudre mon problème.

 

On parle parfois de la bonne culpabilité, celle qui nous permet de rester dans le "droit chemin" et de la mauvaise culpabilité, celle qui ne repose sur aucune base "morale".

Est-ce que la bonne culpabilité en nous empêchant de prendre notre responsabilité est réellement bonne ?

Je pense qu'il n'y a aucune culpabilité qui soit bonne, et plaide pour que chacun soit responsable de ses actes. En thérapie humaniste, nous présupposons en disant cela que l'être humain est fondamentalement "bon" et que le fait d'assumer ses actes sans culpabilité lui permet d'exister réellement comme une personne et non comme un être de "seconde main" qui n'existe que par rapport à une loi extérieure à lui.

 

La culpabilité peut-elle être positive ?

 

La culpabilité peut être un sentiment intéressant à deux conditions :

Qu’elle soit ressentie en fonction d'une faute réelle : malhonnêteté, irrespect envers soi ou envers l'autre.

Qu’elle conduise à un changement de notre comportement et nous amène à notre propre responsabilisation.

 

"Errare humanum est, sed perseverare diabolicum."

disaient les pères de l'Eglise : l'erreur et humaine, mais persévérer est diabolique !

(ou comment "ajouter une couche supplémentaire" à notre constat d'erreur...)

 

 Qui est "coupable" : l'homme ou l'animal ?
Qui est "coupable" : l'homme ou l'animal ?

L'humour et l'autodérision, des remèdes souverains !


Les comportements induits par la culpabilité

 

Une personne qui ressent de la culpabilité ne peut pas agir de façon authentique.

Ce qu'elle a fait est mal, il faut qu'elle trouve une solution à ce sentiment très inconfortable.

 

Plusieurs stratégies existent, en voici une liste non exhaustive :

 

Le déni de la faute

Le mensonge, pour cacher sa faute (mais qui ne fait qu'ajouter une couche de culpabilité)

Le rejet de la faute sur l'autre

L'auto flagellation

La réparation

Les conduites suicidaires et à risques

Etc...

 

La plupart de ces comportements soulagent la culpabilité ou évitent de la ressentir mais ne la résolvent pas ! La faute est toujours là si nous ne pouvons pas intégrer une loi intérieure qui nous permette d'être authentique.

 

Pour sortir de la culpabilité, il est nécessaire dans un premier temps de la reconnaître si ce n'est pas déjà le cas. Ensuite, transformer sa culpabilité en responsabilité.

 

Ce processus permet de voir ses "fautes" (quand elles existent !) et de les considérer comme des erreurs, ce qui permet de sortir du jugement moral pour simplement les "évaluer" de façon pragmatique.

 

Une erreur acceptée devient alors une source d'évolution pour la personne et lui permet de se construire. Comme le dit la sagesse populaire de l'Inconscient Collectif : 

 

"Faute avouée est à moitié pardonnée !"

 

(D'où le grand pouvoir de la confession dans le dogme catholique ? Nous pouvons ici penser aux notions de Centre d'Evaluation Externe ou Interne en ACP ou au concept de Locus of Control )

 

Il est évident que ce processus sera plus difficile si la culpabilité est "engrammée" au niveau corporel et viscéral (par exemple, la culpabilité du jumeau survivant dans le cas de mort in utero, la culpabilité paradoxalement ressentie lors de violences physiques, etc.)

 

L'hypnose ou l'EMDR peuvent alors être une solution.

 .


Honte et contrôle social

 

 

Dans Enfance et Société, Erik Erikson énumère les stades du développement émotionnel depuis la naissance en associant à chacun une attitude qui y est acquise.

Chaque fois, il situe celle-ci par rapport à un pôle positif et à un pôle négatif.

A chaque stade, nous acquérons donc une certaine manière de nous situer émotionnellement et c’est sur cette base que vont se superposer les couches correspondantes aux stades suivants.

Le premier stade est caractérisé par le binôme "confiance /méfiance". En termes d'Analyse Transactionnelle (A.T.), nous disons que si un nourrisson est convenablement caressé et soigné, son Enfant (intérieur) gardera une tendance de base à faire confiance et à adopter la position « Je suis OK - Tu es OK » (voir positions de vie) : "tout va bien".

Par contre, s’il n’en est pas ainsi, une méfiance sous-jacente se maintiendra au plus profond de lui-même.

Bien entendu, la plupart des individus se développent en réalité avec une certaine proportion des deux tendances, suivant les signes de reconnaissance qu’ils ont reçu dans leur prime enfance. En d’autres mots, nous faisons pour la plupart confiance à nous-mêmes et aux autres dans certaines circonstances, en d’autres circonstances nous ne le faisons pas.

Néanmoins, chacun d’entre nous opère d’après une attitude sous-jacente de base, qui se situe quelque part sur le continuum confiance / méfiance. Cette attitude est établie très tôt dans l’enfance.

 

Il en va de même du stade suivant, qu’Erikson caractérise par « autonomie/honte ou doute de soi ». Il se présente à l’âge d’environ deux ans. Les stades ultérieurs seront marqués, soit par un sens fondamental de l’autonomie, que je préfère appeler dans ce contexte confiance en soi, soit par un doute sous-jacent de soi et une propension à ressentir de la honte vis-à-vis de toutes sortes de sentiments et de comportements.

Dans ce dernier cas, il s’établit une tendance à la suradaptation.

Ici aussi, il y a un continuum. Une fois grands, nous pouvons avoir confiance en nous dans certains domaines, et, dans d’autres, ressentir le doute de nous-mêmes et la honte. La faculté humaine de ressentir la honte mérite l’attention. Distinguons d’abord honte et culpabilité !

 

Comme la perspective d’Erikson le montre, la honte est une émotion beaucoup plus primitive que la culpabilité et, comme telle, elle comporte des racines physiologiques. Ce n’est pas le cas de la culpabilité.

Souvent, celle-ci est un sentiment-parasite qui dissimule le ressentiment, et en tout cas, elle peut s’exprimer intellectuellement et verbalement.

Quelqu’un en proie à la culpabilité est d’ordinaire prêt à parler assez longuement de ce dont il se sent coupable.

Il n’en va pas de même de la honte. Qui se sent pris par elle a une première réaction d’ordre physiologique. Il rougit, se met à transpirer, les rythmes cardiaques et respiratoires s’accélèrent, et d’autres changements circulatoires et corporels interviennent. Tout cela inhibe temporairement la parole et/ou l’action, et rend l’explication impossible. La honte est une réaction psychosomatique. Une expérience simple le montre.

 

Si vous parlez à un groupe, enclenchez simplement votre Parent Normatif (intérieur) et criez brusquement : 

 

 

Une large proportion des assistants réagira immédiatement de manière physique.

Or, vous n’avez énoncé aucun motif de honte, et personne ne sait pourquoi, tout d’un coup, il devrait en ressentir ! Cela est possible parce que la faculté de ressentir de la honte existe depuis l’âge de un ou deux ans, c’est-à-dire antérieurement à la raison et aux opérations de l’Adulte.

 

Après cet âge, le P1 (Parent dans l'Enfant) reste réceptif à la honte, et on peut plus ou moins facilement réactiver celle-ci selon que la personne en a plus ou moins ressenti dans sa prime enfance.

Chacun de nous peut réagir à quelqu’un qui nous fait honte, seul le degré et le contenu de cette capacité diffèrent suivant les personnes et les cultures.

 

C’est par là, plus encore que par notre vulnérabilité à la peur ou notre besoin de signes de reconnaissance, que nous nous adaptons à nos parents, aux "grands" et à tous leurs tabous.

 

Il est intéressant de noter que, bien que la honte soit aussi primitive que la peur, seuls les enfants humains sont susceptibles de la ressentir, alors que la peur est commune à tous les animaux, chez qui elle est en relation avec l’instinct de survie.

 

Pourquoi les enfants des hommes, et eux seuls, réagissent-ils à la honte plus encore qu’à un danger réel ?

Pour tenter de l’expliquer, nous devons considérer une autre tendance spécifiquement humaine : la curiosité insatiable et aventureuse de l'A1 (l'Adulte dans l'Enfant).

 

Comme je l’ai montré ailleurs, l’A1 (l'Adulte dans l'Enfant) prend des risques dangereux, qu’aucun animal ne prendrait, en partant à la découverte d’une manière exubérante et créative. Un enfant peut s’aventurer au dehors et se blesser ou se perdre, s’il n’y a pas de contrôle de la part des parents. De nos jours, celui-ci s’exerce la plupart du temps par la surveillance directe ou par des limitations physiques telles que le "parc". Mais que se passait-il aux temps anciens où les tribus humaines nomadisaient, entraînant avec elles un grand nombre d’enfants ?

 

Chez les Eskimos, la toute première fois qu’un jeune enfant pose son pied sur de la glace trop mince et passe au travers, la famille l’entoure, le montre du doigt, se moque de lui, le taquine : en réalité, on lui fait honte, alors qu’il est encore très jeune et qu’il n’a rien fait que d’innocent. C’est ainsi que, bien avant de savoir évaluer de manière réaliste le danger de traverser un lac où la glace est mince, l’enfant eskimo apprend à ne le faire en aucun cas : oser prendre le risque de passer à travers la glace est mauvais, honteux, c’est la pire des choses, quelle que soit d’ailleurs l’importance du faux pas. Pour le restant de ses jours, l’enfant est ainsi empêché efficacement d’affronter ce danger. La perception instantanée de la résistance de la glace à son poids devient une seconde nature, et sa puissance devient comparable à celle d’un instinct de conservation inné.

 

Effectivement, si l’on fait honte à quelqu’un, on lui inculque une peur spéciale, quelquefois nommée par ironie "crainte de Dieu".

Cette peur s’ajoute à l’instinct de conservation des animaux. Parfois même elle en prend la place. Ce qui pourrait inspirer la honte est ressenti comme menaçant pour la vie, à un âge où l’Adulte ne peut pas encore estimer le danger d’après des critères réalistes.

 

Ce n’est pas par hasard que, dans nos langues, certaines expressions reflètent la connexion imaginaire entre la honte et la mort : « J’ai cru mourir de honte », ou 

« J’étais si gêné que j’aurais voulu rentrer sous terre » (« gêné » est évidemment ici un euphémisme pour « honteux »). 

 

 

Pour l’enfant eskimo, la peur de la honte qu’il ressentirait s’il passait à travers la glace peut lui sauver la vie. C’est peut-être la seule manière, pour une tribu tout entière, de développer chez tous les enfants des réflexes indispensables à sa condition nomade.

 

Pourtant, même là, une occasion est perdue pour l’enfant : celle d’intérioriser un message spécifique de contrôle de la part de sa famille et de sa culture. La honte a donc la fonction d’adapter l’enfant à la civilisation de la famille : pour le meilleur et pour le pire.

 

Dans notre culture, un enfant de deux ans peut être rendu honteux parce qu’il veut jouer avec ses fèces ou qu’il désire uriner sur le tapis du salon. On appellerait cela un "accident" : le même mot que pour des événements mortels. Il y a pire : un enfant de deux ans peut être rendu honteux vis-à-vis de comportements qui, plus tard, pourront se révéler les plus appropriés : interpeller un étranger ou un enfant d’un côté à l’autre de la rue, jouer avec le "mauvais jouet" (une poupée pour le garçon, un meccano pour la fille), etc. C’est ainsi qu’un américain adulte peut "préférer mourir" que d’avoir des comportements que son Adulte pourrait, sans cela, prendre en charge.

 

La cause pour laquelle nous avons eu honte une fois demeure inscrite avec la force d’un instinct portant sur des questions de vie ou de mort. Plus tôt on fait honte à un enfant, plus il s’adaptera par la suite aux exigences rationnelles ou irrationnelles de ceux qui prennent soin de lui.

 

Plus nombreux et diversifiés sont les motifs de honte qu’on lui a inculqués, plus la tendance créative générale de l’A1 (l'Adulte dans l'Enfant) sera inhibée.  Nous l’avons dit : l’A1 (l'Adulte dans l'Enfant) opère avec une curiosité expansive, que la honte inhibe, limite et contrôle. Si l’on a fait beaucoup honte à quelqu’un dans son enfance, son Enfant répondra par une panique physique si, ouvertement ou non, on lui fait honte ici et maintenant. Si cela arrive, il peut enclencher son Parent interne, ce qui peut engendrer soit un excès de fonctionnement à partir du Parent Critique, soit un écrasement de l’Enfant par le Parent qui peut inhiber la personne jusqu’à une quasi-paralysie. Cette dernière réaction est la plus probable chez quelqu’un auquel on a beaucoup fait honte : il devient alors extrêmement vulnérable à tout contrôle ici et maintenant, qu’il provienne du Parent, des autres ou des normes de la société, quelque arbitraires qu’elles soient.

Les conséquences pour le traitement sont incalculables. Les messages  "honteux" sont intériorisés dans P1 (Parent dans l'Enfant), où ils opèrent juxtaposés et combinés aux injonctions et aux attributions.

 

Souvent, ces messages "honteux" recouvrent la partie culturelle du scénario, qui est parfois désastreuse là même où les parents sont fondamentalement bienveillants pour l’enfant qui grandit. Le mal est que les messages "honteux" sont incorporés à la physiologie de "l’être  total" de l’enfant et qu’ils opèrent d’une manière d’autant plus contraignante qu’ils sont intériorisés très tôt dans la vie. Beaucoup d’inhibitions sexuelles douloureuses, sous-jacentes à la frigidité ou à l’impuissance, s’enracinent dans des messages "honteux" intériorisés vers l’âge de deux ans, à propos des fonctions corporelles, de la nudité et de la curiosité exploratoire. Je m’étendrai ailleurs sur les techniques de diagnostic qui permettent d’identifier ce que j’appelle le "bouton de honte" d’une personne, c’est à dire le domaine où elle est vulnérable au chantage et au contrôle et à partir duquel elle peut être forcée à une adaptation excessive. Ce "bouton" existe chez chacun d’entre nous. Je parlerai aussi de techniques de traitement visant à défaire la réaction à une "pression par la honte".

 

Notons simplement ici que le seul fait d’identifier les sentiments et les comportements dont nous avons le plus honte et de les confronter à un examen Adulte effectué par nous-mêmes ou par d’autres, peut soulager de beaucoup l’angoisse interne et lever l’incapacité d’avoir confiance en soi, d’être autonome ; permettre, finalement, de connaître l'intimité.

 

 

Les mouvements de libération modernes semblent être arrivés à des vues semblables en ce qui concerne les groupes opprimés. L’oppression est psychologiquement acceptée parce que l’homme est vulnérable à la honte. Trouvez ce dont j’ai honte, et vous pourrez me contrôler.

 

Cela peut être fait de manière non verbale, par insinuation, ou par des transactions à double fond :

« Quoi, tu demandes la charité ? », c’est-à-dire « Tu devrais avoir honte d’être pauvre ou nécessiteux »

« Sois pauvre mais fier », c’est à dire « Aie honte de ta pauvreté, cache la bien, et moi je me sentirai satisfait et à l’aise »

« J’ai rencontré des... personnes de couleur... vraiment très bien », c’est à dire « Je suis sûr que vous avez honte de n’être pas blanc »

« Tapette ! », c’est-à-dire« Aie honte d’être différent de moi »

Enfin, last, not least : « Friponne sans pudeur ! », c’est-à-dire : « Comment une femme ose-t-elle manifester sa sexualité ? Seuls les hommes ont droit à avoir des désirs sexuels » : voyez La lettre écarlate de Hawthorne.

 

Les mouvements de libération ont reconnu par intuition qu’ils devaient affronter des messages "honteux" reçus par transmission culturelle. Leurs membres sont devenus ainsi moins vulnérables au contrôle social négatif et subtil que la société exerce par ces messages.

 

On a récemment répandu d’excellents slogans anti-honte :

« Le noir est beau » c’est-à-dire : « Cessons d’éviter le mot "noir" comme si "noir" était, au contraire de "blanc", mauvais et honteux »,

« Portez le badge de la libération des homosexuels », c’est-à-dire : « Sortez des recoins de la honte ».

 

Même par le ridicule, comme l’acte de brûler son soutien-gorge, les mouvements de libération proclament que leurs membres veulent regarder en face les "dissimulations" qu’elles acceptaient auparavant par respect pour certaines normes "établies" de contrôle social.

 

Fanita English parle de son expérience de la condition de femme :

 

"Comme femme, je prends de mieux en mieux conscience de deux choses : comment, pendant des siècles, les femmes ont été soumises par la honte, et comment, aujourd’hui encore, celle-ci, qu’elle soit imposée de l’intérieur ou de l’extérieur, limite beaucoup d’entre nous, moi comprise. Il est honteux pour une femme d’être agressive ou d’entrer en compétition alors que notre société valorise ces attitudes chez les hommes. J’essaie alors de me modérer dans ces domaines, de crainte qu’un homme ne me lance à la figure que je suis trop agressive, ou que j’ai trop d’esprit de compétition, ou Dieu sait quoi. Les femmes ont été soumises à la honte d’une manière comparable aux  autres groupes défavorisés par rapport au pouvoir. De plus, des parents bien intentionnés ont posé les bases de leur oppression en leur inculquant l’idée que la honte est une attitude qui convient particulièrement aux femmes et aux jeunes filles. On s’est servi de synonymes comme "réservée, sérieuse, modeste, pudique". Rougir de gêne est "mignon" et "gentil". Les femmes ont dû affronter la honte chaque fois qu’elles rejetaient un rôle "féminin", or ceux-ci, bien souvent, sont définis dans les différentes classes sociales de manières différentes, voire contradictoires."

 

Barbara Ehrenreich et Deirdre English ont montré que, à la même période et dans la même société, la qualité la plus prisée pour la femme dans les classes inférieures était d’être un "bourreau de travail" peinant dix-huit heures par jour, alors que, dans les classes supérieures, elle se devait d’être un jouet inutile. Sous le même toit, une servante pouvait donc avoir honte de "se laisser aller" sous le coup de l’épuisement, au moment même où sa maîtresse avait honte du contraire, c’est-à-dire de ressentir un vide intérieur à cause de son inaction.

 

La honte a opéré ses ravages même dans le domaine des fonctions biologiques féminines les plus normales et les plus importantes. Dans la plupart des sociétés, les femmes cachent qu’elles sont enceintes et jusqu’à tout récemment, même aux États-Unis, une future maman ne se serait pas montrée en maillot de bain. Peu de femmes osent nourrir leur bébé en public, par crainte de dénuder leur sein. En espagnol, la grossesse se dit "embarazo», et le même mot signifie aussi "gêne" : la femme enceinte est donc dans une condition gênante et honteuse.

Sans même aborder la question des règles et du sang menstruel, évidemment...

 

En résumé, la faculté de ressentir la honte est renforcée par l'apprentissage chez les êtres humains, elle a un effet "civilisateur" par le fait qu’elle adapte un enfant à sa famille et à sa culture. Malheureusement, cette capacité est exploitée, sciemment par l’une et l’autre. Certaines personnes et certains groupes peuvent ainsi être contrôlés à leur dépend, et parfois de manière insensée du point de vue même des buts actuels de la société où ils vivent. Comme les entraves, la honte enchaîne aux valeurs archaïques de maîtres anciens. Le chemin de l’autonomie passe par la mise à jour des hontes secrètes et, face à chacune d’elles, par la question Adulte : « Cette honte est-elle nécessaire ? »

 

Berne disait : « Pensez aux sphincters ! »

 

Fanita English ajoute : « Pensez à la honte, et supprimez-la ! » ou, en paraphrasant un slogan d’action sociale : « Honteux du monde, voyez : vous n’avez plus rien à perdre que votre honte ! »

 

***

 

Traduit du Transactional Analysis Journal, V, 1, janvier 1975, pp. 24-28 : « Shame and Social Control ».© I.T.A.A.Publication française A.A.T., 7, 1978, pp. 127-13 (Fanita English)

 

 


Humour gaulois et fiertés régionales

Etude sur la fierté régionale et le sentiment d'appartenance.

A votre avis, Quelle région détient le record national ?

Bienvenue chez les Ch'tis  !
Bienvenue chez les Ch'tis !
O Bonne Mère !
O Bonne Mère !
Garanti pur beurre (salé).
Garanti pur beurre (salé).
«Tu viens prendre une schluck de schnaps ou bien?»
«Tu viens prendre une schluck de schnaps ou bien?»

"Soyons humbles d'esprit, mais soyons fiers de cœur."

(Proverbe français)