De la réaction thérapeutique négative à la relation thérapeutique négative : une question d'emprise ?

 

"La réaction thérapeutique négative est comprise ici comme une tentative de dégagement d'une emprise ressentie comme mortifère qui se rejoue dans le transfert et qui signe, temporairement ou définitivement, l'arrêt du processus thérapeutique." (S. Pereg Morin)

 

Je vous propose ici ma lecture du texte complet de S. Pereg Morin, psychologue canadienne.

 


À partir de certaines impasses rencontrées dans le travail clinique et s'inspirant principalement des notions de transfert paradoxal (Anzieu, 1975) et de relation d'emprise (Dorey, 1981), cet article aborde la question de la réaction thérapeutique négative dans le contexte de la relation transfert/contre-transfert.

[Approche psychanalytique "freudienne"]

 

[La "double contrainte" pour l'école de Palo Alto :

http://laboiteame.unblog.fr/double-contrainte-injonction-paradoxale-ecole-de-palo-alto/]

 

La réaction thérapeutique négative est comprise ici comme une tentative de dégagement d'une emprise ressentie comme mortifère qui se rejoue dans le transfert et qui signe, temporairement ou définitivement, l'arrêt du processus thérapeutique.

 

Nous nous penchons aussi sur certains enjeux contre-transférentiels liés à l'emprise et soulignons l'importance d'un espace à penser pour relancer un processus créatif — et non plus seulement réactif — au sein de la relation thérapeutique.

 


[Psychanalyse (Freud) et Psychologie Analytique (Jung)

 

Chez Jung, il n'y a pas à proprement parler de "contre-transfert" dont la "nature" serait distincte de celle du transfert.

 

A la place d'une relation franchement asymétrique au profit, souvent à son insu, de l'ego du praticien, il propose un type de relation à mon sens plus équitable et respectueux de l'Autre dans son équivalence en tant qu'Etre Humain.

 

Jung raconte :

"Lors de notre premier entretien, Freud me demanda tout à trac :

- et que pensez-vous du transfert ?...

Je lui répondis qu'à mon avis c'était l'alpha et l'oméga de la méthode.

- Alors, me dit-il, vous avez compris l'essentiel."

 

  ***

Jung écrira plus tard :

La grande importance du transfert a souvent donné lieu à l’erreur de croire qu’il est absolument nécessaire à la guérison. Il faudrait donc, en quelque sorte, l’exiger.*

C.G. Jung

 *Un comble pour une psychothérapie respectueuse et non directive, n'est-ce pas ?

(Mais reprenons l'article de Pereg Morin après ce petit détour du côté de chez Jung) :]


Oh Marie, si tu savais...

 

"Marie... Le parcours avec elle reste marqué particulièrement dans mon souvenir par l'avènement d'une période houleuse où, frôlant la rupture de façon inattendue, le paysage a changé radicalement.

Le trajet est alors parsemé de heurts incompréhensibles pour moi, menaces de cassure violente et reprises, petit à petit, du fil associatif ; un fil ténu parfois jusqu'à sembler disparaître, tandis que la relation, elle, est tendue à se rompre. J'ai du mal dans ces moments à rester présence discrète et mon attention bien souvent se focalise, loin de l'attention flottante. Comme elle le dira un jour, utilisant l'expression technique pour passer un autre message qui caractérise bien la tourmente qui fait rage : «Ici, c'est du face à face»

Au cours d'une entrevue que je pourrais qualifier sans peine d'éprouvante, entrevue qui inaugure cette période de « face à face », c'est la question du désordre dans sa maison qui occupe brusquement tout l'espace. Un désordre qui l'angoisse, l'accapare, l'obsède. Il y a urgence d'ordre. « C'est un fouillis partout, partout. Je ne sais plus où donner de la tête ».

 

Marie me presse de l'aider.

Mais voilà, si j'essaie de comprendre avec elle ce qui se passe pour que le désordre, aujourd'hui, la dérange tant, je la choque de ne pas savoir que le désordre est partie intégrante de ses difficultés et que ce n'est pas pour rien qu'elle ne sait où donner de la tête.

Si je tente un lien entre le désordre dans sa maison et la panique en elle à la veille d'une rencontre importante à son travail — Marie a toujours redouté les rencontres officielles auxquelles elle se doit de participer de temps en temps — elle se fâche, se sent attaquée; je la sens crispée, boucliers levés. « Vous cherchez toujours midi à quatorze heures; quand un bateau coule on ne se demande pas où les fuites ont commencé ».

Le silence n'est pas davantage adéquat... « C'est facile de se taire quand les gens se noient devant vous ».

Décidément je ne comprends rien. Je cherche. Quel est ce revirement soudain?

Et si j'entends désordre dans le sens très concret qu'elle me semble vouloir lui donner, là encore je suis à côté.

Le « au pied de la lettre », comme elle me le dit, ça ne l'aide pas à se retrouver dans ses affaires.

L'entrevue se termine, Marie en rage et souffrante à la fois.

 

 

Je demeure interdite. Interdite dans le plein sens du mot, interdit d'être, de penser.

C'est le fouillis maintenant dans ma tête, le désordre dans ce que je ressens.

Plus tard, dans l'après-coup, je me souviens de la façon dont Marie a formulé sa demande lors de la première rencontre : « Je lutte contre je ne sais quelle force. Je suis à bout, j'ai l'impression de venir m'échouer ici. Toute seule je ne peux plus ».

 

S'échouer... l'image qui me vient alors n'est pas celle d'une rive salvatrice aux horizons inconnus. Je pense plutôt à la puissance des eaux qui nous emporte et je me demande : comment, avec Marie, faire échec à l'échec avec elle ?

Est-ce possible?

 

On peut bien penser ici à une réaction thérapeutique négative, concept introduit par Freud pour qualifier l'effet d'une résistance quasi irréductible qui lie le malade à sa maladie en le rendant réfractaire aux effets bénéfiques du traitement et qui condamne, par le fait même, le thérapeute à l'impossible guérison de son malade.

L'interprétation est inefficace, la résistance inanalysable, le patient ne veut pas guérir, s'accroche à la maladie et décroche de l'analyse. Le traitement se bute à la présence massive de résistances particulièrement coriaces qui s'opposent au changement, court-circuitent le processus thérapeutique et mènent, en bout de ligne, aux risques de l'interruption de la relation en cours alors que jusque là les choses n'allaient pas si mal...

 

Comment comprendre ce brusque revirement, cette réaction négative à la thérapie qui, comme avec Marie, laisse le thérapeute impuissant et le patient toujours souffrant ? Dans les lignes qui suivent, nous nous pencherons sur un mode particulier de la résistance au changement, résistance qui se vit sous la bannière de la réaction — à la thérapie, au thérapeute — réaction qui, telle une allergie, un réflexe de refus, de rejet, signe de façon temporaire ou définitive l'arrêt du processus thérapeutique.

 

Nous tenterons de rendre compte de cette réaction négative en termes de mouvement de survie : tentative de dégagement d'une emprise ressentie mortifère qui se rejoue dans le transfert.

Les recherches d'Anzieu (1975) sur le transfert paradoxal, les hypothèses de Dorey (1981) sur la relation d'emprise, ainsi que le texte riche et dense de Pontalis (1981) sur la réaction thérapeutique négative seront nos principaux jalons au cours de cette réflexion.

 

Mais avant, un peu d'histoire... Un survol rapide des écrits de Freud nous montre que si déjà en 1914 et 1918 on retrouve sous sa plume l'expression de « l'aggravation dans le traitement » (Freud, 1914, 111) ou de « réaction négative » — au traitement — (Freud, 1918, 128 Filigrane, printemps 1992 376), ce n'est qu'en 1923, dans « Le moi et le ça », qu'il introduit de façon plus spécifique la notion de réaction thérapeutique négative au sein de la théorie psychanalytique. Il écrit :

...il y a des personnes qui dans le travail analytique se comportent très étrangement... Toute résolution partielle qui devrait avoir pour conséquences — et qui l'a réellement chez d'autres — une amélioration ou une rémission temporaires des symptômes provoque chez elle un renforcement momentané de leur souffrance; leur état s'aggrave au cours du traitement au lieu de s'améliorer. Elles témoignent de ce qu'on nomme la réaction thérapeutique négative. (Freud, 1923, 264)

 

Freud voit là l'expression d'un sentiment de culpabilité inconscient très difficile à mettre en lumière car nous dit-il : « le patient ne se sent pas coupable mais malade » (Freud, 1923, 264).

Cette culpabilité inconsciente constituerait un obstacle majeur au bon déroulement de la cure puisqu'alors, pour reprendre ses propos, « ce qui l'emporte chez ces personnes ce n'est pas la volonté de guérir mais le besoin d'être malade » (Freud, 1923, 264).

 

Peu après, soit en 1924 dans « Le problème économique du masochisme », Freud précisera sa conception de la réaction thérapeutique négative.

Traduisant l'expression de « sentiment inconscient de culpabilité » par « besoin de punition », il met ainsi en évidence une tendance masochiste du moi qui trouverait sa satisfaction à travers la souffrance qui accompagne la névrose. C'est le masochisme moral dit-il, dans sa forme extrême, « indubitablement pathologique » (Freud, 1924, 293), qui s'exprimerait dans la réaction thérapeutique négative; et Freud précisera alors qu'au masochisme du moi, s'alliera, pour le compléter, le sadisme du surmoi. La boucle est bouclée.

 

Pourtant, la réaction thérapeutique négative ne semble pas pouvoir se laisser réduire ainsi à une dynamique sado-masochique, si l'on peut dire, du surmoi au moi. Il se profile à travers les dires de Freud l'idée d'un lien possible à l'action de la pulsion de mort. Dans son texte sur le masochisme, il nous prévient : « le caractère dangereux du masochisme moral provient du fait qu'il a son origine dans la pulsion de mort » (Freud, 1924, 297). Mais c'est en 1937, dans « Analyse terminée et analyse interminable », que le rôle de la pulsion de mort sera le plus clairement affirmé et pointé par Freud. En fait, si la réaction thérapeutique négative ouvre à de si sombres perspectives pour le bon déroulement d'une cure, c'est bien qu'elle doit son allégeance à la pulsion de mort; et l'issue de l'analyse, nous rappelle Freud, est dépendante du facteur quantitatif des forces pulsionnelles en jeu. Quelque chose cependant laisse songeur quant à là façon dont Freud pose le problème de la réaction thérapeutique négative. En effet, il définira en 1904 la résistance comme un jeu de forces psychiques par lequel « le malade s'accroche à la maladie et par là lutte contre son rétablissement » (Freud, 1904, 14). Or la résistance, qu'il qualifie alors de phénomène qui « seul nous permet de comprendre le comportement du patient » (ibid), semble se muer, quelques années plus tard, avec la réaction thérapeutique négative, en un obstacle quasi insurmontable.

La technique psychanalytique qui avait pourtant montré sa supériorité sur l'hypnose et la suggestion par le fait même qu'elle permettait de reconnaître la résistance — et donc permettait de l'interpréter — vient maintenant s'y heurter.

 

De la résistance comme jeu de force psychique par lequel « le malade s'accroche à la maladie », à la possibilité de voir dans cette résistance inhérente au processus analytique un moyen de comprendre le patient, à la quasi impossibilité d'analyser quoi que ce soit à cause de cette résistance; il y a là un parcours pour le moins particulier, un parcours qui peut certainement questionner.

 

Ce qui initialement dans les écrits de Freud participait de l'essor de la technique psychanalytique, semble maintenant la mettre en échec... il y a donc réellement une résistance qui s'oppose à la découverte des résistances!!! Il s'agit de résistances non pas seulement contre la prise de conscience du contenu du ça mais aussi contre l'analyse en général et partant contre la guérison. (Freud, 1937, 26)

 

À l'instar de Pontalis (1981) on peut bien se demander si l'analyse, avec la réaction thérapeutique négative, ne rencontrerait pas en elle-même ce qui la nie! En fait, avec la réaction thérapeutique négative, la résistance au changement n'est plus comprise comme inhérente au processus analytique. Elle n'est plus là, signe d'un conflit inconscient pouvant être interprété, ouvrant alors la porte à la perspective d'un dénouement possible, mais devient l'indice d'une constitution rebelle dans son essence au déroulement favorable d'une cure. Tout se passe comme si l'analyse avait trouvé un adversaire plus puissant qu'elle; un adversaire qui la tient en échec... « la puissance invincible du facteur quantitatif » (Freud, 1937, 13).

 

[Un rapport de forces / jeu psychologique s'est instauré dans la relation : 50%/50%...]

 

Pour quoi ce pessimisme, ce rabattement sur le biologique, l'inné, l'inanalysable?

Serait-ce là, l'expression d'une résistance?

Comment ce qui appartient à l'organisation psychique propre de l'analysant peut-il s'étendre dans le transfert sans laisser de prise à l'interprétation?

 

Plutôt qu'y voir la seule manifestation de la pulsion de mort, pourrait-on penser à une répétition? [En observer la fréquence ?]

Et si oui, quelle serait cette répétition dans laquelle analyste et analysant sont pris, puisqu'elle semble sans autre issue que la réaction et l'arrêt du processus analytique?

En fait, essayons de comprendre la réaction thérapeutique négative sans perdre de vue le champ duquel elle est issue : celui du processus analytique, celui de la relation transféro-contre-transférentielle. Laissons donc pour un temps l'idée d'une constellation intrapsychique que l'on découvrirait rebelle à l'analyse, à travers l'analyse, et tentons de retracer ce qui de l'inter-subjectif s'est joué — rejoué — au sein de cette relation qui a conduit à une réaction thérapeutique négative.

 

Les recherches d'Anzieu (1975) sur le transfert paradoxal et la réaction thérapeutique négative sont ici utiles et éclairantes. En effet, empruntant à l'école de Palo Alto la notion de communication paradoxale, Anzieu nous décrit bien le piège infernal dans lequel se trouve coincé le destinataire d'une telle communication : piège du dilemme sans issue, sans compromis possible ni même pensable. Rappelons en effet, que dans le cas d'une communication paradoxale, le sujet doit répondre à deux injonctions antagonistes qui se succèdent alternativement sans cesse; le corollaire de cette situation étant que chacune des injonctions auxquelles le sujet doit répondre sera insatisfaisante en fonction de l'autre.

 

Anzieu, joignant le concept de communication paradoxale à la métapsychologie et l'expérience analytique, nous indique quelles pulsions sont là en jeu, entre celui qui instaure le paradoxe et celui qui s'y trouve piégé.

Difficile de méconnaître la présence active de désir de mort chez l'émetteur!

 

Anzieu précise que c'est bien la pulsion de mort de l'émetteur qui cherche à se satisfaire, éveillant en écho chez le destinataire la pulsion d'autodestruction, et mobilisant en lui la haine comme défense. Il nous montre aussi comment, dans certaines cures, il peut se créer une sorte d'alliance thérapeutique négative entre pulsion de destruction de l'un et pulsion d'autodestruction de l'autre.

 

Anzieu précise : cette alliance négative se reconnaît à travers une relation transfert — contre-transfert qui reproduit sur la scène analytique une situation infantile traumatique où la communication paradoxale s'est trouvée à être instaurée de façon prolongée et répétée par l'environnement du patient.

Si le thérapeute demeure piégé dans le jeu du paradoxe, jeu qui peut prendre diverses formes mais qui toujours le place dans la position impossible où quoiqu'il fasse ou ne fasse pas, dise ou ne dise pas, le patient l'entend toujours comme une persécution, l'entreprise analytique risque de dériver sans espoir d'éviter le naufrage.

Si le thérapeute ne peut se dégager — et ce n'est pas chose aisée — de la prise qu'a sur lui le transfert paradoxal en amenant un démenti à la persécution projetée du patient et en invitant ce dernier à réfléchir avec lui sur l'impasse dans laquelle tous deux se trouvent piégés (une invitation à la métacommunication précise Anzieu), la situation analytique risque bien de s'orienter vers un échec.

 

Et lorsque la situation analytique s'enlise dans le jeu du paradoxe, plutôt que de favoriser une plus grande liberté d'être par la levée du refoulement, elle accélère au contraire la négation de soi. Ce qui devrait aider n'aide pas, ce qui devrait faire du sens mène au malentendu, bref tout va de travers. Le thérapeute est confronté au problème de « l'aggravation dans le traitement », pour reprendre une formulation freudienne. Mais voilà, l'intérêt des recherches d'Anzieu est justement de montrer que si avec certains patients on ne peut éviter d'être confronté à ce paradoxe qu'est « l'aggravation dans le traitement », cette situation, lorsqu'elle relève d'un transfert paradoxal, n'est plus imputable à « l'invincible facteur quantitatif », invincible parce qu'inné et donc inanalysable. La surcharge quantitative des pulsions de mort tout comme la difficulté d'union avec les pulsions de vie sont en jeu mais ne sont plus fonction d'une hérédité.

Dans le cas d'une situation paradoxale instaurée répétitivement dans l'enfance du patient, ce sont les pulsions de mort émanant de l'environnement qui ont surstimulé la pulsion d'autodestruction du sujet rendant difficile son union avec les pulsions de vie. Situation acquise et donc potentiellement dénouable dans le transfert.

 

Mais revenons à la notion de communication paradoxale. Comme nous l'avons dit déjà, ce type de communication place le sujet dans une position de dilemme sans issue.

Marie, par exemple, se souviendra en cours de route, qu'enfant elle se devait de réussir à l'école sous peine de se faire traiter de « vraie tête vide » et de se voir attribuer certaines corvées en punition. Mais lorsqu'elle avait de bons résultats, elle était quand même punie parce qu'alors elle « s'enflait la tête ». Dilemme sans issue pour elle : réussite scolaire ou échec, la punition était inévitable. On imagine facilement ce qu'il y a de mortifère dans ce genre de situation, ce qu'il y a de chosifiant pour le sujet qui y est pris, surtout si ces situations sont à l'image d'un mode de relations répétées et continues installé par des personnes dont le sujet est dépendant et qui occupent ainsi une position d'autorité face à lui. Or cette façon d'exercer sur l'autre son pouvoir, ou plus exactement d'asseoir sa domination, si elle satisfait les visées de la pulsion de mort, comme l'a montré Anzieu (1975), fait écho aussi pour nous à la notion d'emprise dans le sens où ce terme recouvre l'idée de la possession, de la domination de l'objet. Plus précisément, cela nous fait penser à la relation d'emprise telle que Dorey en parle dans son texte « La relation d'emprise » (1981).

 

Dans ce texte, Dorey nous invite à comprendre l'emprise non pas comme relevant d'une pulsion spécifique, mais plutôt comme un mode particulier d'interaction entre deux sujets.

Il aborde donc la question de l'emprise dans le champ de l'intersubjectivité et il parlera de « relation d'emprise » plutôt que de pulsion d'emprise, relation d'emprise dont il précise que les modalités pulsionnelles restent à définir.

 

Trois aspects caractériseraient cette interaction; il s'agit de la dépossession de l'autre par empiétement sur son domaine privé, dépossession à laquelle s'adjoint la domination, et en troisième lieu Dorey ajoute que le sujet qui exerce son emprise sur un autre se trouve à y graver son empreinte, portant atteinte à la liberté d'être et de désir de l'autre.

 

De fait, l'hypothèse de Dorey tourne essentiellement autour de ce dernier axe car, fondamentalement pour lui, la relation d'emprise vise la neutralisation du désir de l'autre, vise l'annulation de l'autre comme sujet spécifique, singulier, sujet désirant.

 

L'emprise, pour Dorey, traduirait ainsi une tendance dont le but ultime est l'élimination de toutes différences, de toutes altérités entre deux sujets. Il s'agit, écrit-il, « de ramener l'autre au statut d'objet entièrement assimilable » (Dorey, 1981, 118). Le sujet, chosifié par l'emprise qui est exercée sur lui, devient alors support de l'illusion que la différence n'est pas.

L'emprise, pour celui qui l'exerce, permet donc de colmater la brèche qui renvoie à l'expérience de la perte originaire et à la détresse qui en découle, détresse plus ou moins supportable et moteur de créativité selon que la désillusion, pour reprendre un terme de Winnicott, aura ou non permis l'ouverture d'un espace nouveau à découvrir, à construire, à habiter.

 

Dorey, dans son texte, se penchera longuement sur les modalités de la relation d'emprise dans la problématique obsessionnelle et perverse, ce qui n'est pas notre propos.

 

Toutefois, si l'on revient aux trois aspects caractérisant la relation d'emprise cités plus haut, soit : l'expropriation par empiètement, la domination et l'atteinte narcissique que subit le sujet, il nous semble y avoir là des liens de parenté avec ce qui s'instaure au sein des échanges où la communication paradoxale domine.

 

Pensons par exemple à l'impossibilité où se trouve le sujet d'utiliser son intelligence pour penser une solution au dilemme auquel il fait face dans le cas d'injonction paradoxale, dilemme par définition sans issue d'autant plus que le paradoxe agit au sein d'un rapport de force. [voir Assymétrie]

Et si l'on se penche sur le troisième aspect caractérisant la relation d'emprise, l'empreinte qu'imprime sur l'autre le sujet qui exerce l'emprise, on connaît l'effet pathogène des situations paradoxales prolongées et combien, même si elles ne conduisent pas nécessairement à la schizophrénie comme le pensaient initialement les chercheurs de Palo Alto, elles portent atteinte à l'intégrité narcissique du sujet, à sa liberté d'être et de devenir.

 

La communication paradoxale, dans cette perspective, pourrait-elle être pensée comme une' avenue par laquelle la relation d'emprise s'exerce, relation d'emprise que le patient revivrait dans le transfert et contre laquelle il lutte lors d'une réaction thérapeutique négative.

Danger projeté de l'emprise, danger de mort qui se rejoue dans le transfert, danger d'être à nouveau réduit à la position d'objet de l'autre, la réaction thérapeutique négative serait-elle : tentative de dégagement d'une emprise ressentie mortifère, vécue comme réelle et actuelle dans la relation au thérapeute?

Le terme de réaction prendrait alors tout son sens, recouvrant l'idée d'un sursaut de survie, mouvement de protection qui permet au patient de rester sujet dans sa relation à l'autre même si ultimement cette relation vient à se rompre.

 

Pontalis (1981) dans son texte « Non deux fois non » écrit : Toute intervention de notre part qui laisserait peu ou prou entendre par exemple « vous ressentiez = vous vous imaginiez = vous projetiez votre mère ainsi » ne ferait que répéter et par authentifier le verdict originaire : Tu ne dis pas ce que tu crois dire, tu es ce que je dis. (Pontalis, 1981, 68)

 

Tout un défi pour le thérapeute habilité à se mouvoir dans le monde des représentations et à interpréter au niveau du fantasme, voilà que l'interprétation sur la réalité psychique de son patient, plutôt que de favoriser la levée du refoulement, risque d'être reçue par lui comme une disqualification, une annihilation, en rééditant le trauma d'antan où l'espace pour être a été envahi par celui-celle qui a exercé son emprise.

 

Mais si l'on peut faire l'hypothèse que l'emprise de l'autre — revécue dans le transfert — est ce contre quoi le patient lutte, la peur de l'emprise peut traduire tout aussi bien ce qui se passe du côté du thérapeute qui se voit pris dans les mailles de plus en plus serrées du transfert, sans possibilité de déprise par les voies habituelles de l'interprétation et risquant bien d'être touché, ébranlé, dans son rôle de thérapeute.

 

Rappelons les propos de Freud : . Toute résolution partielle qui devrait avoir pour conséquences — et qui l'a réellement chez d'autres — une amélioration ou une rémission temporaire des symptômes provoque chez elle un renforcement momentané de leur souffrance. (Freud, 1923, 264)

 

Pourquoi, si ce n'est pour se défendre et se protéger du sentiment d'impuissance et de découragement, ce rappel aux cures qui marchent bien?

Pourquoi imputer l'insuccès de l'activité thérapeutique à une constellation psychique particulière comme Freud le fera dans la suite de son développement?

Serait-ce que l'identité du thérapeute, dans les repères qui le situent thérapeute face à son patient, est atteinte; peut-être à la manière qu'a pu être atteint le narcissisme du patient dans sa relation passée aux personnes significatives de son univers?

 

La relation d'emprise, que le patient redoute et contre laquelle il lutte, l'agirait-il alors même qu'il s'en défend dans le transfert? Emprise contre emprise?

Marie, encore... Cette fois c'est sur une histoire de chaises que l'on bute. Marie est persuadée que le mobilier du bureau a été déplacé et que nos chaises ne sont plus dans le même angle. Aucun rapport, bien entendu, avec le fait que l'heure de la séance précédente a été modifiée : « C'était prévu depuis longtemps et ça faisait mon affaire. D'ailleurs je ne vous parle pas de rendez-vous, je vous parle des chaises, elles sont plus loin ».

Aucun lien non plus avec la crainte possible d'une trop grande proximité suite à des moments d'accalmie et de repos lors des dernières entrevues, moments qui avaient ouvert sur un autre type de rapport avec Marie. Non, aucun rapport. On ne se comprend pas. Elle me parle de chaises, je lui réponds rendez-vous; elle me parle de distance, je lui réponds peur du rapprochement. La tension monte et ce que je trouve à dire n'aide en rien à ce qu'on se comprenne mieux. Dialogue de sourds ou combat en sourdine?

« Pourquoi vous ne voulez pas admettre ce que je dis, que les chaises ne sont pas à la même place? »

Pourquoi en effet ?

De fait, je ne sais pas si les chaises sont ou non à la même place. C'est possible qu'elle ait raison, je ne sais pas. Je pourrais bien lui dire ça, mais quelque chose résiste en moi.

À force de me faire rasseoir avec cette histoire de chaises déplacées, je finis par me sentir ligotée, sans possibilités de bouger. Je n'ai qu'une envie, lui dire non à ma façon comme elle me le dit de la sienne. Lâcher prise...

 

Un jeu entre frères et sœurs dont Marie m'a déjà parlé sur le ton de la banalité me revient en mémoire ; un jeu qui, nous le comprendrons ensemble par la suite, était à l'image de ce qui avait cours régulièrement au sein de sa famille, dans les relations parents-enfants.

Ce jeu? Il s'agit d'un combat où le but est d'immobiliser l'adversaire. Il ne faut pas tant le mettre K.O. — les coups de poing et coups de pied sont d'ailleurs proscrits parce que trop directs — que l'empêcher de bouger, peu importe qu'il soit couché épaules à terre, debout ou à genoux. Il faut mettre l'autre « échec et pat » comme le dira Marie.

 

Seulement ici, dans ce jeu de lutte, l'échec et pat signe la victoire de l'adversaire et la partie n'est pas nulle comme dans le véritable jeu d'échecs.

 

Il me semble bien que c'est un combat semblable qui se livre maintenant entre nous... Et lorsque ce combat se joue dans la relation thérapeutique, les choses se passent un peu comme si chacun des partenaires de la relation se devait de protéger son narcissisme, l'un menaçant l'autre; la menace ne recouvrant pas symétriquement la même intensité peut-être, mais un mouvement semblable de protection contre l'emprise appréhendée de l'autre risquant de s'installer et de faire loi, piégeant et l'un et l'autre des partenaires dans un jeu réciproque d'identification à l'agresseur . Comme le souligne si justement Pontalis : Action-réaction : Le couple fonctionne à plein.

Il n'y a plus alors d'échange possible ni de circulation de sens mais contrôle et vigilance réciproque : la pulsion d'emprise paraît seule s'exercer, qui se rendra maître de l'autre? (Pontalis, 1981, 63) Comment naviguer dans ces eaux où manifestement l'espace pour penser — pour être — est restreint au minimum? Lieux où le tiers qui, s'il n'est pas forclos car nous ne sommes pas dans le registre de la psychose, a toutefois du mal à s'installer, ou peut-être plus justement du mal à être opérant, ce qui aurait favorisé un jeu complémentaire fécond : association libre-attention flottante, interprétation-perlaboration.

 

Avec l'emprise comme paysage ce ne sont plus les rives d'un possible engendrement du sujet qui sont foulées, mais les récifs de la rive adverse. Cependant, si on pense la réaction thérapeutique négative comme le refus d'un quelque chose qui se trouve au fondement même du processus thérapeutique et qui, s'il était accepté — l'interprétation, le changement, la guérison —, serait vécu comme une annihilation, voire une mise à mort, la réaction thérapeutique négative, dans cette perspective, nous semble être un ultime effort afin de demeurer sujet; et dans ce sens, pour négative qu'elle soit en regard des visées thérapeutiques possibles du thérapeute et la volonté manifeste du patient de guérir, elle est peut-être aussi positive.

 

Une question demeure cependant... Comment faire pour que le refus, la réaction de refus, ne s'étende pas à tout l'espace thérapeutique jusqu'à la rupture, transformant la relation thérapeute-patient en une réelle relation thérapeutique négative où l'on ne peut plus discerner vraiment qui résiste à quoi et se défend contre qui?

Entre une réaction thérapeutique négative « ponctuelle » et une relation thérapeutique négative, il y a peut-être encore des possibles pensables.

 

Car si la réaction thérapeutique négative pose la question de la limite — limite de l'analyse, de cette analyse-là — elle n'est pas nécessairement en soi une limite absolue.

 

L'inconscient n'est-il pas par définition toujours hors les limites du conscient?

Et la thérapie ne joue-t-elle pas sur cette frontière, frontière mouvante et non statique, du conscient à l'inconscient, du moi au ça, de soi et de l'autre?

 

Mais c'est vrai, si la question de la limite existe dans tout parcours de thérapie, elle se pose sans détour, d'une façon drastique, lorsqu'une réaction thérapeutique négative vient mettre en échec et l'analyse et l'analyste et la volonté manifeste de guérison du patient.

Peut-être la réaction thérapeutique négative introduit-elle à son tour dans le champ de l'analyse une dimension souvent tenue pour acquise : celle de la limite entre réalité du dedans et réalité du dehors, réalité et réalité psychique; limite qui ici, on peut le penser, n'a pu se constituer autrement que floue et imprécise, sans permettre l'établissement d'une trame psychique constante et fonctionnelle, charpente d'une névrose de transfert qui pourrait se déployer sans heurts majeurs et être analysée par les voies habituelles de l'interprétation du désir inconscient. La réaction thérapeutique négative de fait, dévoile de nouveaux paysages... Ce qui fera dire à Anzieu que : Si le déroulement de la cure des psychonévroses est soustendu par l'accomplissement des désirs refoulés, le déroulement de la cure des déficits narcissiques et des états-limites l'est par l'accomplissement d'une menace restée suspendue, celle d'une annihilation, d'un vide, voire d'un effondrement. (Anzieu, 1975, 83) Peut-être aussi, pour la compréhension du déroulement de ces cures, la réaction thérapeutique négative invite-t-elle à reconsidérer le poids des traumatismes réellement subis dans l'enfance.

 

Traumatismes narcissiques plus que sexuels, qui risquent de se réactualiser dans la situation analytique plutôt que se rejouer dans le transfert — et la névrose de transfert —, l'espace de jeu manquant.

C'est que, sans entrer dans l'univers morcelé de la psychose, le « c'est comme si » qui assure la distance nécessaire pour qu'une névrose de transfert s'installe et soit analysable, n'a plus sa place. Le transfert, comme mise en acte de l'inconscient, y est plutôt une mise en action... C'est moins la dimension métaphorique qui l'emporte que celle de l'agir,

« même si cet agir n'est porté que par des mots » comme le soulignera Pontalis (1981, 62).

 

Agir auquel viendra répondre un réagir du thérapeute directement interpellé.

Trop près, trop loin, la bonne distance est dure à trouver, impossible à garder.

L'aire de jeu reste à découvrir, créer, construire.

 

Bref, avec la réaction thérapeutique négative, le transfert n'est pas léger et l'attention ne flotte pas, risquant ainsi de se figer. On oublie parfois que l'association libre, avec laquelle se constitue la névrose de transfert et à laquelle vient répondre l'attention flottante du thérapeute, même si c'est entendu qu'elle n'est jamais libre des jeux de forces intérieures, exige une relative sécurité pour permettre la mouvance des associations, et que cette sécurité trouve ses racines dans une réalité passée « suffisamment bonne ».

Une réalité qui aura pu être assez présente, mais assez absente aussi pour qu'ait pu prendre place, dans l'espace d'une désillusion graduelle, la créativité et le monde du fantasme.

 

Or la relation d'emprise, rappelons-le, vise justement pour celui qui l'exerce, à colmater la brèche ouverte par la perte originaire. Comment celui qui n'a pu élaborer pour lui-même un « penser l'absence », pourra-t-il supporter que sa propre absence soit pensée par l'autre?

 

Si l'environnement — disons la mère — pour maintenir son propre équilibre n'a pu composer avec la désillusion autrement qu'en tentant de la nier; si la différence, signe de l'absence et de la perte, doit être gommée, annulée; du côté de l'enfant, à l'absence moteur d'une créativité, risque fort de se substituer une omniprésence de l'autre, un « je sais tout de toi » qui laissera peu de place pour être soi, se découvrir, se créer.

Carence par excès de présence... Il y a bien là traumatisme.

 

Et si on ne peut compter sur un ancrage dans une réalité suffisamment bonne, peut-être, à ce moment, faut-il repenser la place que l'on accorde en général à la réalité, dans l'écoute.

 

On peut interpréter la réalité psychique, mais on ne peut que reconnaître la réalité...

« Nous constatons dans la cure [...] que la reconnaissance des préjudices subis est parfois un préalable à celle de la réalité psychique » (Cosnier, 1990, 481).

 

Pontalis aussi le souligne : Nous ne pouvons pas échapper de donner acte, sous une forme ou une autre, au patient que la réalité a férocement malmené, que nous reconnaissons la violence qui lui a été faite. (Pontalis, 1981,67)

https://www.acpfrance.fr/lengagement-au-coeur-du-processus-de-la-psychotherapie-humaniste-bis/

La compréhension comporte un risque. Si je me permets de comprendre vraiment une autre personne, il se pourrait que cette compréhension me fasse changer. Or, nous avons peur du changement.

Carl Rogers

Oui. Mais la violence est parfois sournoise. Il n'y a alors pas traces sur le corps qui permettent de dire : « Ce patient enfant a été victime de violence », ni événement ponctuel que l'on pourrait circonscrire dans le temps ou dans une histoire.

La violence de l'emprise est diffuse et massive tout à la fois, silencieuse mais implacable. L'emprise pénètre, infiltre, fissure les frontières, viole l'espace privé, s'engouffre et s'installe; agit maintenant au-dedans.

 

C'est l'élan vital du sujet qui est atteint, restreint, écrasé par la présence de l'autre qui l'habite et dicte sa loi. Violence sans effusion de sang, sans grand bruit, et qui ce faisant, risque fort de passer sous silence jusqu'à son éclosion fracassante dans une réaction thérapeutique négative où ce sont le thérapeute et sa thérapeutique — celle à laquelle il croit — qui se trouvent violentés.

 

Car on peut bien penser que ce sera dans la réalité de la relation au thérapeute que la répétition trouvera ancrage et voie pour s'exprimer.

J.J. Baranes écrira : Ainsi, les difficultés de la cure pourront conduire l'analyste à les interpréter comme un véritable Ré-agir exercé sur l'analyste, en écho des traumatismes, empiétements, ou emprise de l'objet primaire. (Baranes, 1990, 326)

Il y a le transfert, mais il n'y a pas que le transfert.

Il y a aussi la relation réelle au thérapeute sur et avec laquelle se déploiera le transfert.

 

Si dans certains parcours de thérapies cette dimension peut se laisser oublier, il en va tout autrement avec les sujets de la réaction thérapeutique négative. Car c'est bien le thérapeute comme personne, dans ce qu'il croit être bon, sa thérapeutique, sa technique, sa pensée, sa créativité, son narcissisme, qui est violenté; qui est touché, touché au vif. Emprise contre emprise, « qui se rendra maître de l'autre? » comme l'a si bien dit Pontalis. L'espace thérapeutique s'amenuise, risque de céder la place à un combat singulier, sorte de corps-à-corps de la pensée qui tient plus de la haine que de l'amour ; qui tient de l'excès, excès de l'autre en soi. Risque d'une étreinte mortifère où se livrerait à l'infini un duel sans merci.

II n'est pas sûr que la haine veuille tuer, car elle risquerait alors de s'éteindre.

Ce qu'elle veut d'abord c'est immobiliser et mieux encore : contraindre l'autre à vouloir cette immobilité, celle d'une proie captive qui consacre sa déchéance et signe sa reddition. (Pontalis, 1988, 41)

 

Couper court à la relation thérapeutique dans un accès de rage, c'est aussi garder en soi captif le thérapeute, le mauvais, à jamais, dans un mouvement de rejet continu.

 

Mais aussi, s'accrocher à une théorie qui signerait l'inanalysabilité d'un patient, c'est le garder captif, mauvais patient, dans une construction théorique qui enferme plutôt qu'elle n'ouvre, qui tend à figer plutôt qu'à relancer le questionnement et la pensée.

 

L'introduction d'un tiers qui permettrait à chacun d'occuper un espace propre et qui ouvrirait sur une aire — ère — où une relation d'échange devient pensable, est bien là, pierre d'achoppement

 

Sortir du duel, de la situation duelle... Peut-être, dans ces moments, ce sera la possibilité qu'aura le thérapeute d'élaborer quelque chose à partir de son contretransfert, un quelque chose qui ne soit pas de l'ordre d'un accrochage à une hypothèse théorique qui enferme l'autre pour se protéger soi dans un mouvement d'identification à l'agresseur, qui pourra créer une sortie — une ouverture — qui pourra faire figure de tiers et réinstaller le mouvement de la pensée, du désir, de la vie, là où l'emprise les a figés.

 

Entre la réaction thérapeutique négative et une relation thérapeutique qui ne devienne pas négative, peut-être le trajet est-il celui d'une désillusion au sens que Winnicott donne à ce terme.

Trajet qui est aussi celui, pour le patient, de la découverte et/ou la construction d'un espace intérieur privé, espace qui ne sera pas envahi par l'autre, la mère, l'analyste.

 

Et qui sait, trajet qui sera peut-être aussi pour le thérapeute l'occasion d'explorer un peu plus l'inconnu en lui, puisque confronté aux dites « limites de l'analysable »...

 

 

Sylvia Pereg-Morin 2342, Hampton Montréal H4A 2K5

Notes

Notes 1. Rappelons que la réaction thérapeutique négative a reçu des interprétations différentes selon les auteurs et l'angle par lequel elle était abordée. Mentionnons l'hypothèse de Rivière (1936), qui re lie la réaction thérapeutique négative au besoin impérieux de guérir les objets internes avant de pouvoir penser à sa propre guérison; les recherches de Joffe et Sandler (1965, 1967) qui comprennent la réaction thérapeutique négative comme une protection contre la dépression qu'entraîne, pour certains, une guérison ou un succès vécu paradoxalement comme une perte ou un éloignement de l'idéal; et le travail de Coumut (1983) sur le sentiment inconscient de culpabilité emprunté et les aléas identificatoires du fait d'être porteur du deuil non fait d'un autre. 2. L'empiètement et la domination sont encore plus frappants dans les situations paradoxales de disqualification où le paradoxe ne se situe pas au niveau d'injonctions antagonistes comme telles, mais réside dans le fait qu'un jugement qui fait loi est communiqué au sujet sur lui-même, juge ment qui constitue en fait une dénégation du vécu du sujet en question. 3. On pourrait arguer ici que pour Dorey la relation d'emprise ne se réduit pas à l'activité d'un seul courant pulsionnel. Or, nous l'avons vu, c'est bien la pulsion de mort qui est dominante et active au sein de la communication paradoxale. Pourrait-on penser que le désir « d'asseoir définitivement son emprise sur autrui » (Anzieu, 1975, 82) par le biais des situations paradoxales, s'il satisfait la pulsion de mort et conduit ultimement à la destruction de l'autre en tant que sujet désirant, répond aussi à la tendance unificatrice des pulsions de vie par le maintien de l'autre sous la coupe de celui qui exerce l'emprise? Quoiqu'il en soit, si un regard plus attentif s'avère nécessaire quant à l'articulation, au niveau pulsionnel, de la communication paradoxale et de la relation d'emprise, le rapprochement de ces deux notions nous semble fécond pour comprendre un peu plus la réaction thérapeutique négative. 4. À titre anecdotique... Anzieu, dans son texte sur le transfert paradoxal, rapporte les propos d'un patient qui, répondant à une interprétation, lui dit : « En psychanalyse c'est toujours celui qui le dit qui le fait » et encore « Ne cherchez pas à jouer au psychanalyste avec moi » (Anzieu, 1975, 73)... Voilà de quoi désarçonner son analyste! 5. C'est moi qui souligne. 6. Dans le jeu d'échecs on dit que le roi est mat lorsqu'il est mis en échec et ne peut se protéger par le déplacement d'une de ses pièces, ni se mouvoir sans s'exposer de nouveau au danger. La partie est alors finie. Par contre la partie est nulle lorsque le roi, resté seul, est entouré de pièces ennemies de telles façons qu'il ne peut bouger sans se mettre de lui-même en échec. On dit alors qu'il est pat. 7. J'entends ici « identification à l'agresseur » dans le sens que Ferenczi lui donne dans son texte « Confusion de langue entre les adultes et les enfants » (1933). 8. Je pense ici à des défauts d'adaptation de l'environnement qui ne permettent pas l'expérience suffisante d'une réalité « suffisamment bonne » dans les premiers temps de la vie. 9. Notons que Ferenczi (1933) insistera sur l'importance du traumatisme réel — traumatisme sexuel mais qui peut prendre aussi d'autres formes — lorsqu'il s'interroge sur les raisons qui conduisent certains patients à vivre régulièrement leurs séances d'analyse comme « une répétition quasi hal- 139 De la réaction thérapeutique négative à la relation thérapeutique négative : une histoire d’emprise? lucinatoire d'événements traumatiques » (Ferenczi, 1933, 125) sans que l'analyse de la symptomatologie n'arrive à modifier cet état de chose. 10. Baranes (1990) soulignait que l'appellation « cas difficiles » ne désignait pas nécessairement les analysants qui, de par la complexité de leurs symptômes ou de leur structure sont difficiles à comprendre et qui posent ainsi un défi à l'analyste et son questionnement théorique, mais ceux « qui déclenchent régulièrement chez l'analyste déception, désillusion, non-pensée ou une souffrance psychique excessive; ceux qui ne répondent ni aux attentes ni aux efforts de l'analyste, et chez qui le processus analytique ne se déclenche pas, ou est constamment saboté par le mode de fonctionnement du patient. » (Baranes, 1990, 322). Références Anzieu, D., 1975, Le transfert paradoxal : de la communication paradoxale à la réaction thérapeutique négative, Nouvelle Revue de Psychanalyse, No. 12, 71-94. Baranes, J.-J., 1990, Dans mon dos du marbre qui parle... À propos des cas difficiles dans la pratique contemporaine, Revue Française de Psychanalyse, vol. 2, 309-327. Cosnier, J., 1990, Théories de la réaction thérapeutique négative, Revue Française de Psychanalyse, Vol. 2, 475-491. Cournut, J., 1983, D'un reste qui fait lien : à propos du sentiment inconscient de culpabilité emprunté, Nouvelle Revue de Psychanalyse, n° 28, 129-149. Dorey, R., 1981, La relation d'emprise, Nouvelle Revue de Psychanalyse, n° 24, 115-139. Ferenczi, S., 1933, Confusion de langues entre l'adulte et l'enfant, Psychanalyse 4 : Œuvres complètes, Payot, Paris, 1982, 125-135. Freud, S., 1904, De la psychothérapie, La technique psychanalytique, PUF, Paris, 1953, 9-22. Freud, S., 1914, Remémoration, répétition, perlaboration, La technique psychanalytique, PUF, Paris, 1953,105-115. Freud, S., 1918, Extraits de l'histoire d'une névrose infantile : l'homme aux loups, Cinq psychanalyses, PUF, Paris, 1979, 325-420. Freud, S., 1923, Le moi et le ça, Essais de psychanalyse, PBP, Paris,1981, 221- 275. Freud, S., 1924, Le problème économique du masochisme, Névrose, psychose et perversion, PUF, Paris, 1973, 287-297. Freud, S., 1937, Analyse terminée et analyse interminable, Revue Française de Psychanalyse, n° 1, 1939, 3-38. 140 Filigrane, printemps 1992 Joffe, W. G., Sandler, J., 1965, Note on pain, depression and individuation, The Psychoanalytic Study of the Child, XX, 394-424. Joffe, W. G., Sandler, J., 1967, On the concept of pain with special reference to depression and psychogenic pain, Journal of Psychosomatic Research, II, 69, 75. Laplanche, J., Pontalis, J.-B., 1967, Vocabulaire de la psychanalyse, PUF, Paris. Pontalis, J.-B., 1981, Non deux fois non : tentative de définition et de démantèlement de la réaction thérapeutique négative, Nouvelle Revue de Psychanalyse, n° 24, 53-73. Pontalis, J.-B.1988, La haine illégitime, Perdre de vue, Gallimard, France, 37- 43. Rivière, J., 1936, A contribution to the analysis of the negative therapeutic reaction, International Journal of Psychoanalysis, XVII, 304-320. Sandler, J., Dare, C., Holder, A., 1975, Le patient et le psychanalyste, PUF, Paris

"Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens"

NOUVELLE VERSION !

Toujours fidèles à Madame O., les auteurs ont actualisé leur best-seller sur le plan des recherches et des témoignages vécus. Un chapitre inédit sur la manipulation de masse viendra clore cet ouvrage indispensable ! ***

« Comment amène-t-on autrui à faire ce qu'on voudrait le voir faire ? La solution se trouve dans cette introduction aux techniques de la manipulation. »

 

Le Monde « Et le plus fort, c'est que ça marche aussi en amour. Essayez, vous verrez... »

 

L'Écho des savanes « Cinquante ans de recherches scientifiques, basées sur l'administration de la preuve, permettent aujourd'hui à qui veut influencer autrui de mettre un maximum de chances de son côté et à qui en a assez de se faire "manipuler" de mieux comprendre les ressorts psychologiques au moyen desquels il se fait piéger. »

 

Réponse à tout ! « Finalement, le titre est on ne peut plus exact. La manipulation est observée sous tous ses angles scientifiques, puis disséquée dans toutes ses utilisations pratiques... » Challenges « Voici un petit ouvrage à ne pas mettre entre toutes les mains. Deux psychosociologues de talent y démontrent comment, dans la vie de tous les jours, nous sommes manipulés par les commerciaux ou la publicité. Idéal pour ne plus tomber dans le panneau... Mais aussi pour obtenir des autres ce que vous souhaitez. »

 

Entreprise et carrières « Un livre étonnant, utile, indispensable... qu'il faudrait d'urgence inscrire au programme des écoles primaires, peut-être même avant le code de la route... »

 

Annales des mines *** Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois figurent parmi les chercheurs francophones en psychologie sociale les plus connus. Le premier est professeur à l'université d'Aix-Marseille, le second à l'université de Nice Sophia Antipolis. Outre ce Petit traité, ils ont rédigé ensemble trois ouvrages :

Soumission et idéologies et

La soumission librement consentie (Presses universitaires de France), ainsi que

A radical dissonance theory (Taylor & Francis).

Discours de la servitude volontaire (La Boétie)

 

Le Pouvoir dans l'Approche Centrée sur la Personne, un texte fondateur par B.B. Dartevelle

 

La réaction thérapeutique négative et la trace, par Danielle Kaswin-Bonnefond