« Le libre choix. De l'autonomie rêvée à l'attention aux capacités. »

 

"La notion de libre choix renvoie à l’autonomie comme pouvoir de vouloir par soi-même, fondée sur les capacités de délibérer et de décider.

Notre conception spontanée de l’autonomie renvoie à l’image rêvée d’un individu tout puissant ou omniscient : indépendant de tout et de tous (modèle anglo-saxon) ou parfaitement raisonnable (modèle kantien).

L’alternative envisagée ici sera celle de « l’homme capable » (Ricœur), et de la relation éthique comme attention aux capacités. L’autonomie est alors moins un point de départ qu’une tâche à réaliser, et à réaliser avec d’autres."

ZIELINSKI Agata, « Le libre choix. De l'autonomie rêvée à l'attention aux capacités », Gérontologie et société, 2009/4 (vol. 32 / n° 131), p. 11-24.

https://www.cairn.info/revue-gerontologie-et-societe1-2009-4-page-11.htm

Pour l'article original et les notes précises, vous référer au lien ci-dessus.

[Je vous en propose ici ma lecture.]

"La notion de libre choix évite le risque de restreindre la liberté à un « pouvoir faire », pouvoir d’agir ou de ne pas agir physiquement conformément à ce que je veux.

Le libre choix élargit la sphère de la liberté à toute la personne, ne s’en tient pas uniquement à ses capacités physiques. Elle permet de distinguer l’indépendance (capacité de faire par soi-même) et l’autonomie (capacité de vouloir par soi-même) – on peut être dépendant, et faire valoir son autonomie.

 

 

En effet, la notion de libre choix renvoie à nos capacités de délibérer et de décider. Elle fait appel à nos facultés d’imaginer (permet de se projeter), d’évaluer (ce qui est possible ou non, ce qui est bon, moins bon ou mauvais, ou encore les conséquences), de juger (si tel souhait est conforme ou non avec l’idée que nous avons de nous-mêmes, ou de la société, des relations entre les hommes, etc.), de formuler une préférence. Bref, elle fait appel à notre raison. Ainsi Aristote affirme que l’action vraiment humaine – la vertu – est un choix accompagné de raison, c’est-à-dire de ce qui est le propre de l’homme et les distingue des autres êtres : c’est la proaïrésis, le choix délibéré (Aristote).

 

 

Le libre choix n’est pas d’abord une question de désirs, d’impulsions, de spontanéité – mais de raison. La raison évalue, discerne ce qu’il en est de nos désirs par rapport à la réalité, par rapport aux possibles. Choisir librement, ce n’est pas simplement « faire ce que je veux » au sens de « ce que je désire » ou « ce qui me plaît ». Mais c’est fondamentalement le résultat d’un discernement opéré par la raison sur la compatibilité ou non de mes souhaits avec la réalité. En effet, le désir se distingue de la volonté (je peux désirer un gâteau et choisir de ne pas le manger). Et qui plus est, je peux toujours désirer l’impossible (je peux désirer être immortel) ; en revanche, mes choix ne peuvent porter que sur des réels possibles (je ne peux pas choisir l’immortalité ! ). D’une certaine façon, nous ne choisissons vraiment librement que lorsque nous savons parfaitement ce que nous voulons. Nos choix véritables sont des choix éclairés, sont le fait d’une liberté éclairée. Si nous savions directement et constamment ce qui est vrai et bon pour nous, nous n’aurions pas besoin de délibérer, de peser les choses, d’hésiter avant de trancher.

Mais notre liberté est prise dans le tissu complexe des possibles qui s’offrent à nous, et nous ne savons pas toujours ce que nous voulons ! Les possibles peuvent sembler en nombre indéfini, notre liberté elle, n’est pas infinie. Et notre volonté peut se trouver paralysée devant la multiplicité des possibles, face au renoncement que choisir implique, à la peur du changement, ou à l’ambivalence de nos motivations. Choisir est difficile !

 

Devant un choix à faire, nous ne faisons pas uniquement l’expérience de notre puissance, mais aussi de notre fragilité. L’hésitation indéfinie, la velléité, manifestent la faiblesse de la volonté, notre impuissance à nous déterminer.

Ainsi, celui qui choisit n’est jamais indépendant de la situation dans laquelle il choisit (c’est en fonction de cette situation qu’il va se fixer des fins, délibérer, peser les motifs…). C’est même à cause de notre situation que nous voulons ou désirons telle ou telle chose – le libre choix n’a pas lieu « hors » situation. Sartre, donnant l’exemple d’un rocher au travers du chemin, indique que c’est moi qui décide si la situation est un obstacle ou une sollicitation (rebrousser chemin ou l’escalader) :

 

« L’homme ne rencontre d’obstacle que dans le champ de sa liberté. »

(Sartre)

 

En un sens, c’est moi qui décide de l’extension de mes capacités… et de mes limites.

Ce qui apparaît comme une limite (une réduction de mes moyens locomoteurs par exemple) peut devenir l’occasion de développer une capacité ou une activité qui sans cela me serait restée étrangère. En ce sens, agir librement n’est pas agir sans obstacles ou sans contraintes (intérieures, extérieures), mais décider de la manière dont nous réagissons à ce qui nous apparaît comme tel. Nous ne pouvons pas ne pas choisir : ne pas choisir, c’est encore choisir ! Le choix fait partie de la réalité même de notre existence :

 

« Pour la réalité humaine, être, c’est se choisir »

(Aristote)

Notre identité n’existe pas de toute éternité, mais nous sommes ce que nous font nos choix.

"L'important n'est pas ce qu'on a fait de moi

mais ce que je fais moi-même de ce que l'on a fait de moi."

(Sartre)

Se pose ainsi la question des moyens : ai-je les moyens de parvenir à la fin souhaitée ? Et si je ne les possède pas, est-il possible de les obtenir ? Est-ce à d’autres – à mon entourage, à la société – de me les fournir (la société a-t-elle le devoir de me donner les moyens de réaliser tous mes désirs ? Que puis-je exiger de la société, dont je suis partie prenante, envers laquelle j’ai des devoirs ?)

Pour Aristote, nous ne délibérons que sur ce qui est en notre pouvoir, ce sur quoi nous pouvons agir. Mais nous pouvons aussi réfléchir à ce qui peut nous donner les moyens d’augmenter notre pouvoir, c’est-à-dire nos capacités. Cela n’est pas sans intérêt lorsque ces capacités se présentent comme restreintes, sont vécues comme limitées ; ou lorsque la raison vient à manquer. La liberté de choisir ne se définit pas alors strictement par l’autonomie, mais peut-être par la capacité de choisir en qui nous mettons notre confiance, par notre capacité relationnelle. |Fonction Intuition ?]

 

 

Si chacun décide en dernière instance, nous ne sommes pas seuls dans l’élaboration de nos choix. L’autonomie absolue, d’une autodétermination qui serait indépendance à l’égard de tout et de tous, est peut-être ce que nous souhaitons au même titre que l’immortalité, mais sans doute, comme celui de l’immortalité, ce souhait se heurte-t-il à l’expérience de la réalité ; de même la conception d’un sujet absolument raisonnable, qui n’agirait que sous la direction de la raison.

Ces idées de l’autonomie sont fondées sur la conception d’un sujet idéal et tout puissant en savoir et en actes. Mais nul n’est une île, et nous sommes reliés. Entre le fantasme d’une indépendance absolue à l’égard de tout et de tous, et le rêve d’un sujet qui ne serait que raisonnable (et le serait toujours), quel espace reste-t-il pour la liberté de choisir ? L’espace des capacités, à la lumière d’une bienveillante connaissance de soi, de cette estime de soi que nous recevons aussi de la sollicitude d’autrui.

 

Le libre choix, s’il est mien, n’est pas sans le monde et n’est pas sans autrui.

 

"Tout être est une île,

au sens le plus réel du mot, et

il ne peut construire un pont pour communiquer avec d'autres îles

que s'il est prêt à être lui-même

et s'il lui est permis de l'être."

Carl Rogers

UN LIBRE CHOIX INDÉPENDANT DE TOUT ET DE TOUS ? L’AUTONOMIE AU SENS ANGLO-SAXON

L’autonomie partout revendiquée, désirée, défendue, semble caractéristique de nos sociétés occidentales contemporaines. L’individu est autonome ou il n’est pas, au point que l’autonomie comme pouvoir de choisir ses propres valeurs semble être elle-même devenue l’ultime valeur – au nom de laquelle on peut décider de la vie ou de la mort –.

En effet, elle se traduit souvent par une revendication en terme de droits : droit de mener sa vie comme on l’entend, droit de mourir au moment souhaité… La revendication du « droit de… (faire ce que je veux) » est une demande adressée à la société, et implique par conséquent la société. Dans la revendication d’autonomie, le sujet se présente comme relié, impliqué dans une société à l’égard de laquelle il a des exigences mais aussi des responsabilités, voire des devoirs.

La responsabilité et les devoirs nous engagent à l’égard de nous même et des autres. L’autonomie telle que la revendique le sujet contemporain a son origine dans l’autodétermination au sens politique, qui désigne l’indépendance d’un État lorsqu’il n’est plus sous la tutelle d’un autre et peut se doter de ses propres lois. Il s’agit donc du pouvoir de se diriger selon ses propres lois – de « se gouverner soi-même » –, et non sous les lois dictées par un autre. Par extension, l’autonomie peut parfois être confondue avec l’indépendance par rapport à toute loi. Il s’agirait d’exercer sa puissance de soi-même et sur soi-même.

L’insistance sur l’autonomie dans les délibérations éthiques nous vient des Etats-Unis, où elle figure parmi les quatre principes de bioéthique aidant aux prises de décisions médicales (Beauchamp & Childress).

Ce principe permet de considérer le patient comme une personne autonome, c’est-à-dire capable de faire des choix et de prendre des décisions par lui-même (dans la loi française n° 2002-303 du 4 mars 2002, il apparaît sous le mode du consentement libre et éclairé du patient.)

L’origine de cette insistance sur l’autonomie dans le contexte américain mérite d’être précisée, pour éclairer le rapport entre l’autonomie individuelle et la revendication de droits privés. La source en est la reconnaissance du droit à l’intimité, dont l’objectif initial était de protéger l’intimité du mariage contre l’ingérence de l’État.

 

Le rêve de l’autonomie serait ainsi d’être exempt de tout regard et de tout jugement d’autrui sur les actions et les manières de vivre considérées comme relevant d’un choix personnel. Ce souhait revient soit au rêve d’une solitude absolue (Robinson sur son île), soit à celui d’une société qui n’aurait d’autre rôle que de répondre à tous les désirs des particuliers, quels qu’ils soient, en leur offrant les moyens de les réaliser (comme si on réclamait de la société son accord devant tout type de comportement). Droit de faire ce que je veux, l’autonomie est alors pouvoir du consommateur tout-puissant, et, centrée sur l’intimité, elle devient quasiment synonyme d’épanouissement personnel, coupée de toute dimension et responsabilité collectives. La société est perçue comme une menace, un contrôle. Et le désir prend la place du choix, réflexion et délibération semblant s’effacer.

Le problème est de savoir s’il est légitime que le désir personnel soit la mesure de toutes choses.

En remontant encore le fil du temps, il faut enraciner cette conception de l’autonomie en tant qu’indépendance à l’égard du regard des autres et de l’État, dans le libéralisme anglo-saxon, notamment dans la théorie de la liberté présentée au XIXe siècle par John Stuart Mill. Celui-ci défend l’idée que la décision de l’individu doit être respectée absolument, qu’elle paraisse sage ou non, scandaleuse ou vertueuse – la seule limite étant le tort qu’elle peut causer à autrui. La conséquence en est que l’individu n’est nullement responsable de ses actions devant la société.

 

« Pour ce qui ne concerne que lui, son indépendance est, de droit, absolue.

Sur lui-même, sur son corps et son esprit, l’individu est souverain »

 

(John Stuart Mill)

L’autonomie est d’abord indépendance de chacun par rapport à « l’ingérence de l’opinion collective »  (10) et par conséquent droit à « décider selon ses préférences personnelles »  (11) [Fonction Sentiment] 

 

Il s’agit de se préserver contre l’idée que les autres pourraient avoir de ce qui est mon propre bien (12)

 

 

Ce qui signifie que du bien on ne discute pas – non parce que l’idée du bien s’imposerait à toute personne raisonnable, mais au contraire parce que le bien n’est qu’une affaire privée, liée à la jouissance de l’individu qui seul décide de ce qui est bon pour lui.

 

L’indépendance par rapport au regard et à l’avis d’autrui se double d’une indépendance à l’égard de l’aide ou du soin apporté par autrui : « Chacun est le gardien naturel de sa propre santé aussi bien physique que mentale et spirituelle » (13)

 

Mill introduit une autre limite (14) : la liberté dont il est question est réservée aux « êtres humains dans la maturité de leurs facultés », en sont exclus enfants et adolescents.

Et « ceux qui sont dépendants des soins d’autrui doivent être protégés contre leurs propres actions aussi bien que contre les risques extérieurs ».

 

Mais qui est sans soins ?

 

Question qui nous met face à une réalité de l’existence humaine : nous ne pouvons pas être ce que nous sommes – quelle que soit l’étendue de notre autonomie – sans avoir bénéficié de soins, sans bénéficier encore des soins affectifs d’un entourage.

 

Il n’y a pas d’indépendance absolue par rapport aux soins d’autrui.

L’existence de chacun est en quelque sorte le « résultat » des soins qui nous ont été dispensés – notamment (mais pas uniquement) dans la petite enfance.

 

Premiers soins dont on peut espérer qu’ils existent aussi dans les derniers moments de l’existence, « soins ultimes » (15)

On voit que la conception de la personne ici présupposée est une indépendance en forme de solipsisme – comme si mon corps et mon esprit  (16) tout ce que je suis, ne devait rien aux autres et était coupé de toute relation [ou leur devait tout]. Le critère de l’autonomie est ici clairement utilitariste : est considéré comme éthique ce qui contribue aux intérêts de l’individu  (17) à son bien-être (18) : ce qui lui permet d’exercer et développer sa puissance (19) , sans limites à ses impulsions (20). 

 

La valeur de l’opinion ou l’action n’est pas qu’elles soient bonnes (ni les meilleures possible), mais qu’elles soient personnelles (21).

 

L’individuel prévaut sur le bien – ou plutôt, le seul bien à considérer est l’individualité de la pensée ou de l’action. L’individu est seul juge de son bien-être (22).

 

 

 

 

Il semble qu’entre deux extrêmes – la souveraineté de la décision et la contrainte par autrui – Mill n’envisage aucun intermédiaire : le dialogue est absent de la manière dont les sujets constituent leur existence.

 

L’intersubjectivité est inexistante dans cette anthropologie libérale.

L’autodétermination présuppose comme sa condition une indépendance absolue : n’avoir besoin de personne pour exister.

 

Exister pour soi et à partir de soi : c’est la définition classique de la substance abstraite !

Un tel individu est un individu abstrait, une figure idéale, dont l’expérience que nous faisons de nous-mêmes et des autres dément la possibilité, sinon à titre de rêve !

 

Les justes (Camus)
Les justes (Camus)

UN LIBRE CHOIX PUREMENT RAISONNABLE ? L’AUTONOMIE AU SENS DE KANT

Choisir librement, ce serait choisir selon la raison, libre du déterminisme des désirs ou de la contrainte des passions, qui sont éminemment personnels. En effet, choisir selon la raison, c’est choisir ce qui pourrait valoir pour tout être raisonnable : idéalement, ce qui est décidé en raison par un individu devrait être reconnu comme un bien par tous.

Le mot d’ordre de l’autonomie selon Kant est un appel à l’indépendance d’esprit :

 

« Ose penser par toi-même. » (23)

 

Elle est capacité à « se donner à soi-même ses propres lois » (selon l’étymologie du terme).

L’autonomie est prioritairement l’affranchissement par rapport aux pouvoirs de « tutelle » auxquels nous avons spontanément tendance à nous soumettre par paresse ou par lâcheté [par besoin de confort dans l'Ombre ?], sans nous en apercevoir , ou parce que secrètement cela nous arrange que d’autres décident pour nous (24). [voir bénéfices secondaires d'inconscients à cyniques...]

L’individu libre est celui qui est à l’origine de ce à quoi il obéit : il obéit volontairement à ce qu’il a décidé de lui-même, et non à ce qui vient d’un autre.

En sorte que Kant oppose l’autonomie à l’hétéronomie, qui elle consiste à « être soumis à une volonté étrangère » (25)

 

[Se débarrasse-t-on d'une pulsion comme d'un mauvais rhume ?] 

 

Lorsque j’agis sous la contrainte, je n’agis pas de façon autonome.

Certes, mais quelles sont aux yeux de Kant ces contraintes qui me sont étrangères ?

Il peut bien entendu s’agir de la volonté d’autrui, mais plus subtilement de cette obéissance plus ou moins consciente à l’opinion, aux coutumes, à la société… à tout ce qui pense « pour moi » même si j’ai l’impression d’y adhérer de moi-même.

Autrement dit, lorsque j’agis sous le poids des préjugés ou du conformisme social, ou pour faire plaisir à quelqu’un, je n’agis pas de façon autonome, même si j’ai l’impression que « c’est bien moi qui ai choisi » et que je le revendique !

 

Il ne suffit pas de déclarer qu’une action est autonome pour qu’elle le soit réellement.

 

Mais Kant va plus loin encore pour spécifier « l’hétéronomie » : la contrainte sans doute la plus puissante que nous subissons est [serait] celle de nos sentiments, de nos désirs que Kant nomme « penchants », qui se définissent par leur inconstance : ici, l'autonomie est indépendance par rapport aux désirs (26).

 

 

Le libre choix ne consiste pas à suivre ses impulsions.

L’autonomie selon la raison est bien une forme d’indépendance, comme au sens politique du terme : il s’agit bien de s’affranchir d’un pouvoir fort. Mais pour Kant, le pouvoir le plus puissant dont il faut se libérer est celui des pulsions ou des émotions, qui nous rendent inconstants et centrés sur nous-mêmes.

 

Lorsque nos intérêts personnels passent AVANT l’intérêt commun ou le respect d’autrui, c’est alors que nous avons à nous en libérer, et ainsi devenir autonomes.

 

La raison nous enseigne que nous devons et pouvons ne pas suivre l’impulsion de nos désirs lorsqu’ils sont contraires au bien de l’humanité. L’autonomie consiste à être libre de toute contrainte externe ou interne, à se décider selon la raison.

 

Etre autonome, c’est donc n’obéir qu’à soi-même, mais de telle façon que ce qui est décidé puisse bénéficier à tout être raisonnable, soit cohérent avec le bien de l’humanité. La visée de la raison est universelle, et non centrée sur Soi.

 

Soit l’exemple du mensonge. Je peux bien sûr décider de mentir, mais une telle décision ne saurait être motivée que par des tendances égoïstes, et non par la considération de mon bien en même temps que du bien de l’humanité. En effet, si chacun décidait qu’il est bon de mentir, c’est le lien social tout entier qui menacerait de se défaire, nul ne faisant plus confiance à personne.

C’est la visée de l’Universel qui « éclaire » alors le choix raisonnable de ne pas mentir.

 

L’exemple du mensonge indique que pour Kant, l’autonomie a une dimension morale :

la capacité d’agir selon la raison est ultimement la capacité d’agir moralement.

Etre autonome, ce n’est pas faire ce qui me passe par la tête au gré fluctuant des envies. Etre autonome, c’est être moral. C’est-à-dire ne pas faire de choix contraires à la dignité humaine : respecter l’humanité en soi-même comme en toute personne – dignité inaliénable, intrinsèque à la personne humaine, quel que soit son état ou sa condition.

 

Le respect de la personne dans sa dimension psychique est un droit inaliénable. Sa reconnaissance fonde l’action des psychologues. (Code de déontologie).

 

La définition de la personne humaine dans son inaliénable dignité s’enracine  : dans la capacité de se laisser guider et d’agir selon la raison, en ne se prenant pas pour centre ultime des décisions, mais en ayant en vue l’humanité tout entière.

 

Agir sous l’impulsion de mes désirs ou de mes caprices – « parce que j’en ai envie » – n’est pas agir conformément à la raison.

 

On voit ici combien cette conception se distingue de l’air du temps, de la définition ambiante de l’autonomie comme réalisation de « ce qui me plaît », c’est-à-dire des caprices plus que d’une décision raisonnée.

 

Le choix selon les impulsions n’est pas libre, parce qu’il nous rend esclave de nous-mêmes, de notre versatilité.

 

Que faire cependant, lorsque la raison est déficiente, son usage limité ou simplement perturbé par les émotions, la souffrance ou les médicaments ? La dignité ne disparaît pas pour autant, elle est intrinsèque à la personne humaine, quelle que soit sa situation.


Mais qu’en est-il du libre choix ?

 

D’autant que nous [humains] ne sommes pas des êtres uniquement rationnels. Nos « penchants » ne sont pas nécessairement mauvais ou égoïstes.

Que faisons-nous de nos désirs ?

 

Nous savons bien, depuis Freud, non seulement que nos désirs sont inconstants (cela, les Anciens le savaient bien), mais qu’ils peuvent être contradictoires, ou pour le moins ambivalents [voir Energie psychique ou Libido).

Et surtout, que notre désir nous échappe toujours en partie.

 

On le voit bien parfois dans des situations de grande dépendance : une personne peut affirmer souhaiter « en finir », « que cela finisse », et dans le même temps formuler un projet d’escapade au bord de la mer, ou de retrouver des amis…

 

Dans ces ambivalences, le désir de vie est à soutenir dans la mesure où, en lui, s’exprime le plus l’autonomie comme capacité à faire des projets et à exprimer son identité.

 

Les désirs peuvent alors indiquer un « sens éthique de la vie » (27), aider à élaborer un plan ou un projet de vie qui vise le bien.

 


"Le bien, le mal je dis tant pis."

"Let it go"

La Reine des Neiges (1)


L’autonomie comme autodétermination absolue ne tient pas compte du fait que les désirs peuvent être multiples, confus, voire contradictoires.

Ni du fait que nous ne savons pas toujours très bien ce que nous voulons.

L’autonomie raisonnable prend en compte les désirs, mais c’est pour s’en séparer : elle ignore l’orientation vers la vie qui peut être sous-jacente aux désirs.

 

En présupposant que nous savons ce que nous voulons, et que nous pouvons ce que nous désirons, ces définitions de l’autonomie nous présentent un sujet « rêvé », omniscient et omnipotent.

 

Il ne s’agit pas, au bout du compte, d’opposer terme à terme ces deux définitions, mais d’être conscients que nous nous référons implicitement (voire inconsciemment) tantôt à l’une, tantôt à l’autre ; et que l’une et l’autre nous présentent un sujet pour une part fantasmé.

 

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UNE TROISIÈME VOIE ? L'ATTENTION AUX CAPACITÉS

 

Opérons un renversement.

 

On peut en effet envisager le libre choix non seulement du point de vue de l’individu qui réclame son autonomie, mais aussi du point de vue de ceux qui accompagnent cette autonomie (en particulier dans l’accompagnement de situations de dépendance) :

 

Dois-je acquiescer à tout ce que veut l’autre ?

 

Dois-je exiger de lui que tout ce qu’il exprime soit purement rationnel et raisonnable ?

 

Selon la définition de l’autonomie centrée sur le choix indépendant, sur le droit à disposer de son existence comme on l’entend, l’accompagnement sera une attitude d’acquiescement, avec le risque de réduire la personne à tel choix, à tel moment, à un seul aspect de son existence, sans faire droit à sa complexité.

 

D’un autre côté, si l’autonomie nous renvoie à la dignité de la personne, à la reconnaissance et au respect de ce qu’elle est, dans la visée d’un « projet de vie », 

la personne ne se réduit pas à un seul aspect de son existence (sa souffrance ou son handicap, par exemple).

Il s’agit de reconnaître ce qui contribue à la faire exister, ce qui lui donne goût à la vie.

On est alors dans une dynamique d’accompagnement, une dynamique relationnelle.

 

Si nous prenons comme point de départ la relation entre les personnes, et non plus le fantasme d’un individu isolé et tout puissant, ce n’est pas une autonomie idéale et abstraite qu’il faut considérer, mais les capacités. Cela permet non seulement de se situer dans un cadre relationnel, mais d’autant plus de faire attention à la singularité des personnes et des situations.

 

Cela permet, non de chercher à correspondre à une autonomie rêvée, mais de partir du fait que l’autonomie s’acquiert.

L’autonomie, contrairement à ce que réclament nos revendications spontanées, n’est pas au principe de notre existence, mais plutôt le résultat de processus de libération.

Elle n’est pas tant un préalable que l’objet d’une conquête progressive, qui se poursuit, depuis l’enfance, à tous les moments de l’existence.

 

Rappelons-nous que nous avons été enfants avant que d’être hommes !

 

N’oublions pas que notre première expérience n’est pas celle de l’autonomie, mais celle de la dépendance ; que pour être là aujourd’hui nous avons bénéficié de soins « parentaux » sans lesquels nous n’aurions pas pu continuer à vivre.

 

Dans le processus de passage de la dépendance à l’indépendance, dans la croissance de l’enfant, les parents eux-mêmes sont dépendants des « tendances innées du nourrisson » (Winnicott, 28) mais aussi de la manière dont l’enfant réagit aux soins qui lui sont prodigués.

 

 

L’expérience de la vulnérabilité – et d’une vulnérabilité partagéeprécède pour chacun de nous celle de l’autonomie.

Ce qui est particulièrement visible au début de la vie n’est pas moins vrai tout au long de la vie. Accompagner l’autonomie, c’est accompagner ce processus de libération – ce qui est valable pour chacun, quels que soient l’état de santé, l’âge, la formation… Cette autonomie qui n’est pas idéale, ni toute puissante, qui n’est pas donnée toute d’un coup ni une fois pour toutes, se donne à voir dans les capacités.

 

Paul Ricœur, pour définir la personne comme sujet de ses paroles, de ses choix et de ses actes, parle de« l’homme capable » (29), celui qui s’identifie en un « je peux » qui n’est pas d’abord celui des potentialités physiques. Et Ricœur nous invite à décliner différentes modalités de ce « je peux » comme autant de capacités, comme autant d’éléments constitutifs [constructifs] d’une identité.

 

L’identité d’une personne se constitue à travers la capacité de prendre conscience de ce que l’on est, de s’attribuer une identité ( « je m’appelle… », « je suis untel »).

 

Ainsi être soi-même, c’est se reconnaître soi-même, c’est-à-dire aussi différent des autres. Puis par la capacité d’agir par soi-même, c’est-à-dire de faire advenir dans le monde des événements, des nouveautés, quelque chose qui n’aurait pas existé sans moi : faire surgir quelque chose – et pouvoir dire « c’est moi qui l’ai fait ».

 

Suit la capacité de raconter qui consiste à pouvoir rendre compte de ses choix, exposer l’intention qui nous guidait dans telle ou telle action, élaborer le récit de sa vie, relier entre eux des événements.

C’est, fondamentalement, la capacité à donner du sens à sa vie.

 

Enfin, Ricœur élargit ces capacités à l’imputabilité, c’est-à-dire la capacité de se reconnaître à l’origine d’une parole ou d’une action, d’en être responsable, jusqu’à pouvoir porter les conséquences de ses actes.

 

Ces quatre capacités fondamentales qui permettent à la personne de se reconnaître une identité, si elles semblent parfaitement individuelles, témoignent néanmoins chacune d’une nécessaire dimension relationnelle. En effet, savoir qui je suis suppose de pouvoir être reconnu comme tel par d’autres, c’est pouvoir répondre à une question initiale, à une interpellation venue d’autrui : « Qui es-tu ? »

 

Agir, c’est trouver des partenaires  – qui peuvent se présenter comme des aides, des coopérateurs… ou des obstacles !

Parler, c’est pouvoir être entendu, entrer dans un dialogue, un échange qui peut-être nous précède (ainsi de ceux qui nous ont attribué un nom à la naissance).

La responsabilité est aussi l’affaire de la justice, elle a donc une dimension sociale.

Je suis responsable devant d’autres, ou même responsable d’autrui comme le dit Levinas.

 

Peut-être faut-il à cela ajouter la capacité affective, ce désir d’aimer et d’être aimé, d’être en relation, qui est sans doute au fondement de l’exercice des autres capacités.

 

Dès lors, favoriser l’autonomie, c’est faire attention aux capacités de la personne pour d’abord en être le témoin.

 

Les repérer, aider à les repérer, écouter les désirs jusqu’à ceux qui ne se formulent pas, c’est entrer dans une dynamique de reconnaissance dont tout un chacun a besoin pour sentir que son existence compte.

 

Etre acteur en faveur des capacités d’autrui, ce n’est pas seulement en être le témoin, mais c’est encore les susciter, les développer, donner les moyens de les faire passer à l’effectivité – peut-être même faire advenir des capacités qui n’avaient encore jamais eu l’occasion de se révéler [Ombre, dévoilement...].

 

Ce n’est pas seulement demander à quelqu’un « Que veux-tu ? », mais aussi dire

« Tu peux, et tu peux encore plus que cela » : 

 

Favoriser l’articulation du désir et des capacités.

 

Et cela en tenant compte de la réalité, c’est-à-dire en n’exposant pas la personne à l’impossible, à l’au-delà de ses capacités – ce qui aurait pour effet de la mettre en difficulté, voire en situation d’échec.

La ligne de crête est parfois bien mince, entre l’encouragement et la mise en difficulté – d’où la nécessité d’un constant dialogue.

 

En se plaçant du point de vue de l’attention aux capacités, on peut définir l’autonomie comme la capacité d’arbitrer entre plusieurs possibilités et de choisir ce qui apparaît comme raisonnable en fonction de ce que l’on est. Plus largement, l’autonomie est la capacité de se fixer des buts, de se donner des fins, de dire à d’autres et de recevoir un éclairage sur comment et en vue de quoi on veut vivre – et qui permet d’accéder davantage à l’identité propre.

 

Il s’agit de favoriser ce qui permet de « donner un sens à sa propre existence »  

 

A travers l’attention aux capacités, le respect de la personne va donc au-delà du simple acquiescement à l’autodétermination, et au-delà de la considération de la seule raison.

 

Le respect de la dignité de la personne inclut la prise en compte de son histoire, de ses relations, de ses capacités et de ses incapacités, de ses difficultés éventuelles à se projeter et à réaliser ses projets – bref, de ses capacités et de sa vulnérabilité.

La réalité des personnes, c’est à la fois l’autonomie et la vulnérabilité.

 

L’autonomie se constitue ainsi à travers la relation.

En effet, nul n’est une île [voir citation de Rogers plus bas]. Nous n’existons pas sans les autres. L’autonomie consiste bien à choisir par soi-même. Mais on ne peut pas dire que l’on choisisse seul, que nos choix soient isolés du reste du monde. Nous aurons beau faire comme si les autres n’existaient pas, tous nos choix sont pétris de nos relations humaines (nos choix pour, nos choix avec, nos choix contre…), et ont des conséquences sur nos relations, sur les autres.

 

Il n’est pas question ici d’affirmer que nos choix sont déterminés, mais plutôt qu’ils sont orientés – que nous le voulions ou non – vers les autres 

(pour ou contre eux, pour leur faire plaisir ou pour nous en détacher…)

 

Nos choix, comme nos capacités, sont relationnels : « habités » – plus ou moins consciemment – par nos relations. Ce que nous décidons « par nous-mêmes » ne « concerne » pas « que nous-mêmes », au contraire de ce qu’affirme J. S. Mill.

Le libre choix est toujours pris dans un jeu de relations.

 

Difficile autonomie ! Nos désirs évoluent, nous changeons : l’autonomie est à reconquérir sans cesse, et s’éprouve au fond davantage lorsqu’elle vient à faire défaut.

Notre autonomie est fragile, toujours exposée à la blessure, toujours à conquérir, voire – paradoxalement ! – à recevoir.

 

Blessure narcissique tout d’abord, de s’apercevoir que l’on ne sait pas ce que l’on veut, ou que l’on ne parvient pas à réaliser ce que l’on a décidé…

Le sujet du libre choix est à la fois agissant et souffrant.

 

Qu’elle puisse s’éclipser, demander à être aidée, cela montre bien que l’autonomie elle-même est vulnérable, exposée à être réduite, voire à disparaître.

 

La condition humaine est fragile : ainsi de notre autonomie.

 

« L’autonomie est celle d’un être fragile, vulnérable.

Et la fragilité ne serait qu’une pathologie, si elle n’était pas la fragilité d’un être

appelé à devenir autonome, parce qu’il l’est dès toujours d’une certaine façon... » 

 

(31 - Ricœur P. Le Juste 2 (2001), Paris, Esprit, 297 pages, p. 86.)

 

En tout nous pouvons faire l’expérience d’un conflit intérieur entre nos capacités et nos incapacités, entre notre volonté d’autonomie et notre vulnérabilité. L’autonomie est moins un donné préalable qu’une « tâche » à réaliser, écrit Ricœur – tâche à réaliser ensemble, même lorsque les capacités paraissent au premier regard très réduites.

 

Tout homme est à la fois vulnérable et capable, et en ce sens toujours digne d’estime.

 

La tâche de la sollicitude est de redonner comme toujours possible la « tâche d’être homme » (32) mobiliser le goût de vivre et la capacité de le mettre en œuvre."

(Ricœur P. Le Juste 2)

 

Merci à ZIELINSKI Agata, « Le libre choix. De l'autonomie rêvée à l'attention aux capacités », Gérontologie et société, 2009/4 (vol. 32 / n° 131), p. 11-24.

https://www.cairn.info/revue-gerontologie-et-societe1-2009-4-page-11.htm



 

 [Carl G. Jung    L'inflation psychique ou augmentation de l'ego]

 

Julien Prudence (fiche de lecture / mémoire) 

issu de Université Paris Dauphine (2003/2004)

DEA 124 « comptabilité, Contrôle,décision », Professeur Yvon Pesqueux

CG JUNG - DIALECTIQUE DU MOI ET DE L’INCONSCIENT

PDF entier sur demande

 

" Ainsi, certains sujets qui verront une amélioration de la compréhension de leur inconscient, pourront avoir le sentiment de pouvoir tout comprendre et tout expliquer

et même si ils seront animés par de bonnes intentions, cela ne sera pas forcément pour plaire à leurs entourages.

 

Jung fait allusion à certaines personnes faisant utilisation de la psychanalyse de manière tout à fait erronée : il met ainsi en garde contre ceux qui ne disposent pas de recul d’expérience suffisante pour pouvoir avoir une bonne compréhension de l’inconscient des individus.

(Cette critique sera adressée à la psychanalyse Freudienne dans sa façon de « manipuler » les œuvres d’art).

 

D’autres personnes, en comprenant la part assez sombre de leur(s) inconscient(s) se voient découragés et « s’enferment peureusement sur eux- même ».

Ces derniers constituent les introvertis.

 

Deux comportements opposés sont alors de mise :

les extravertis prétendent à une expansion démesurée

les introverti se renferment sur eux-mêmes.

 

Mais tout ceci n’est qu’une illusion.

 

 

Derrière,

[dans l'Ombre des] extravertis, on pourra trouver des traits craintifs d’infériorité et de façon opposée [dans l'Ombre des] introvertis, on retrouvera en général un sentiment caché de puissance nourri d’une certaine frustration de ne pouvoir montrer la conviction de sa valeur méconnue.

Aussi, dans les deux cas, chacun possède quelque chose de surhumain (de divin).

 

Pour qualifier ce phénomène, Jung propose de parler « d’inflation psychique ».

 

Pour illustrer cette idée il évoque l’identification de certains à leurs postes ou leurs fonction, s’en attribuant par extension les qualités (...) "

 

[ N'oublions pas ici que le "on général" justement - (l'inconscient collectif) - peut nous "pousser" à nous identifier à peu près tout et n'importe quoi, vite-vite ]

 

[...]

 

 

[...]

 

     "Cette notion d'inflation me semble heureuse et justifiée dans la mesure où l'état qu'il s'agit de caractériser comporte précisément une extension de la personnalité qui dépasse ses limites individuelles : telle la grenouille qui se gonfla.

Dans cet état, le sujet occupe un volume auquel il ne saurait normalement prétendre.

Pour ce faire, il est bien obligé de s'approprier des qualités et des contenus qui, en réalité„ sont situés à l'extérieur de ses propres frontières. Or, ce qui se situe hors de moi appartient à un autre être ou à plusieurs ou n'est à personne.

 

       L'inflation psychique n'est nullement une manifestation que crée seulement l'analyse; comme elle se produit également très souvent dans la vie banale de tous les jours, nous pouvons aussi l'étudier en d'autres occasions : un cas très courant est constitué par l'identification dépourvue de toute note d'humour de nombreux hommes avec leur profession et leur titre. Bien entendu, le poste que j'occupe est mien dans la mesure où s'y insère l'essentiel de mon activité; mais ce poste, cette fonction, cette profession est aussi en même temps l'expression collective de facteurs nombreux, expression qui est née historiquement de la collaboration d'un grand nombre et d'une concordance de circonstances. Sa dignité est le fruit d'une approbation collective.

 

Dès lors, en m'identifiant à mon emploi ou à mon titre, je me comporte comme si j'étais moi-même toute cette fonction sociale complexe, ce fonctionnement structuré qu'on appelle un « poste », comme si j'étais non seulement le titulaire du poste, mais aussi et en même temps la nécessité sociale et l'approbation collective de la société sur lesquelles il se fonde, qui le sous-tendent et l'arc-boutent.

 

     Ce faisant, je me suis attribué une extension et j'ai usurpé des qualités qui en aucune façon ne sont en moi, mais qui existent hors de moi et qui devraient y rester.

« L'État c'est moi » telle pourrait être la devise des sujets qui succombent à ce travers.

 

La connaissance elle aussi peut déterminer une inflation psychique ; il s'agit alors, sur la base d'un principe qui est le même au fond, de circonstances psychologiques encore plus subtiles.

Ce n'est pas alors la dignité d'une charge, mais des fantasmes lourds de signification qui déterminent cette inflation."

 

La Dialectique du moi et de l'Inconscient, Folio, p. 43-44.]

http://www.philosophie-spiritualite.com/textes_3/jung21.htm

 

Une grenouille vit un Bœuf
Qui lui sembla de belle taille.
Elle qui n'était pas grosse en tout comme un œuf,
Envieuse s'étend3, et s'enfle, et se travaille4
Pour égaler l'animal en grosseur,
Disant : « Regardez bien, ma sœur,
Est-ce assez ? dites-moi : n'y suis-je point encore ?
— Nenni5. — M'y voici donc ? — Point du tout. — M'y voilà ?
— Vous n'en approchez point. » La chétive pécore6
S'enfla si bien qu'elle creva.
Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages :
Tout Bourgeois veut bâtir comme les grands Seigneurs,
Tout petit Prince a des Ambassadeurs,
Tout Marquis veut avoir des Pages.

— Jean de La FontaineFables de La Fontaine, La Grenouille qui se veut faire aussi grosse que le bœuf


Les complexes avec Adler...


Du côté de la psychiatrie...

 

La phénoménologie psychiatrique contemporaine a pu lier altérations du Soi minimal et troubles schizophréniques.

En effet, des perturbations de cette composante du Self, qui serait le préalable de notre capacité à se ressentir comme agent de ses expériences et de les reconnaître comme siennes, expliqueraient les états particuliers de conscience rapportés par les patients schizophrènes.

Si leur analyse doit être guidée par une lecture duale, laissant alterner hyper-réflexivité et troubles de l’inter corporéité, l’échelle descriptive offerte par l’EASE (Evaluation des Anomalies de l'Expérience de Soi) constitue un outil de prédilection au regard de l’investigation objective des altérations du Self Minimal.

En favorisant la co-construction d’un langage pour décrire l’expérience du sujet, l’EASE permet de rendre compte des irrégularités du Self Minimal et revêt ainsi un enjeu diagnostique comme pronostique comme nous pourrons le voir.

Deux modèles explicatifs dominent l’origine présumée de ces perturbations, attribuant respectivement ces modifications à des défaillances d’ordre métacognitif et à des processus troublés précédant l’action  – impliquant l’émission d’une copie d’efférence – 

 

L’altération du soi-minimal reste difficile à appréhender, mais nous souhaitons porter son analyse sous le prisme de deux œuvres de la culture populaire.

 

Dans Cyberpunk 2077, le protagoniste expérimente l’insertion d’une personnalité dans sa psyché avec laquelle il devra cohabiter dans un but commun, présentant ainsi une altération du corps vécu.

 

Dans Fight club, Tyler Durden expérimente la sensation parasitante d’être envahi par un corps étranger, dont il spatialise les faits au point de l’annihiler en se tirant une balle dans le crâne, et que l’on peut explorer sous le prisme du syndrome d’influence. 

 

Altérations du soi minimal dans les troubles schizophréniques.

Philippe Achard, Lola Benjamin, Maëva Ouzounian (Abstract)

Dans Perspectives Psy 2021/3 (Vol. 60), pages 273 à 280

 


Quelques films parmi d'autres...

Onglet en construction

 

https://www.cairn.info/etude-des-communications-approches-constructiviste--9782200268459-page-11.htm

 

https://www.cairn.info/l-abc-de-la-vae--9782749211091-page-112.htm